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DISPARITIONS SPONTANÉES



Par Normand Dubois










Tout a commencé le 10 mars 2019, à l'époque on les appelait avec un sourire en coin "disparitions mystérieuses", on ne parvenait pas à croire que l'on puisse disparaître comme ça, en une fraction de seconde; on parlait face à face avec quelqu'un et soudainement, "pouf!" une des deux personnes disparaissait instantanément, comme par magie. Au début, les médias réagirent prudemment, c'était peut-être un coup publicitaire du grand illusionniste Vivaldi qui était en spectacle cette semaine-là, ou encore une tentative quelconque pour affoler la population, mais il était entendu qu'il y avait quelque chose de louche la-dessous, des gens ne pouvait pas se volatiliser ainsi. Ce qu'on ne savait pas au début, c'est que la même chose se produisait partout dans le monde, dans toutes les villes, les campagnes, aucun lieu n'était épargné, mais les médias, de peur d'être ridiculisés, en parlait peu ou n'en parlait pas du tout. Malgré tout, on commencaient à entendre des témoignages dans les lignes ouvertes radiophoniques, dans les journeaux et sur internet. Àprès trois jours, on cessa de jouer à l'autruche et on réalisa que c'était sérieux, qu'il existait vraiment des cas de "disparition mystérieuse". Les chiffres commencèrent à affluer: 59 cas de disparitions au Québec, 264 dans le reste du Canada, 3597 pour les États-Unies, c'était la même chose dans le reste du monde où on assistait à une vague de disparition mystérieuse dans les mêmes proportions qu'ici.

Évidemment, les chefs d'états firent des déclarations pour rassurer la population, mais on s'aperçu vite qu'ils étaient complètement démunis face à la situation, n'apportant aucune solution concrète. Bien sur, on convoqua d'urgence une conférence internationale, "la Conférence de Milan", où les plus grands scientifiques de la planète se réunirent, mais encore là, ils ne firent que démontrer à la population leur totale incompréhension face au problème auquel ils étaient confrontés. C'est justement au cours de cette conférence que survint l'incident qui allait crystalliser toute la peur et l'inquiétude de la population mondiale: alors qu'il faisait son discours de bienvenue en direct devant les caméras du monde entier, le Premier Ministre Italien, monsieur Paolo Vacchio, disparut instantanément, démontrant de façon éclatante la menace devant laquelle l'humanité était confrontée. On entendit dans la salle des cris, "NON!", "C'EST IMPOSSIBLE!", "IL FAUT FAIRE QUELQUE CHOSE!" En un instant, la population de la Terre comprit que si les plus grands scientifiques de la planète n'arrivaient pas à trouver une parade à ces disparitions subites, la race humaine était vouée à une extinction lente mais inéluctable. C'était comme si nous, la race humaine, étions tous réunis dans le bureau du médecin, et qu'il nous apprenait que nous étions collectivement atteints d'un cancer, et qu'à moins d'un miracle, il ne nous restait que quelques années à vivre.


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Il n'y eu pas de miracle et les "disparitions spontanées" -c'est comme ça qu'on les appelaient maintenant- continuèrent à un rythme encore plus élevé. Le 17 mars, soit une semaine àprès leur apparition (si je peux m'exprimer ainsi), le nombre de disparitions spontanées s'élevait à 400,000 à l'échelle planétaire. Pour Montréal, où j'habite, le chiffre était de 275. Au début, plusieurs voulurent combattre ce fléau par leurs propres moyens et essayèrent des trucs pour empêcher leur disparition. On vit apparaître dans les rues de la ville des gens avec des acoutrements plus bizarres les uns que les autres: vêtements recouverts de papier aluminium, colliers, bracelets et ceintures faits de métal magnétisé, chapeaux métalliques en forme ce cône recouvrant la tête jusqu'aux épaules avec deux petits trous pour les yeux, etc., certains avaient l'air si ridicules que les gens ne pouvaient s'empêcher de s'esclaffer de rire en les voyant; au moins, à défaut d'être efficace, ils contribuaient à alléger l'atmosphère morbide qui régnait chez la population.

Àprès une semaine à tenter frénétiquement de trouver un moyen d'empêcher les disparitions, les gens commencèrent à se poser la question fondamentale: "POURQUOI?" L'hypothèse la plus retenue dans les pays industrialisés était celle d'une civilisation extra-terrestre qui volait nos corps pour nous faire travailler dans les mines d'une planète éloignée, d'autres disaient que c'était plutôt pour remplacer leurs corps fragiles par les nôtres qui étaient plus robustes. Dans les deux cas, le résultat n'était pas très réjouissant pour nous. Il y avait aussi l'hypothèse fort répandue que nous subissions la colère divine pour tous les péchés que nous avions commis. Une chose est sûre, personne n'arrivait à trouver une explication rationnelle à ce qui se passait. Mais ce qui me frappa le plus au cours de la première semaine, c'est que presque tout le monde, même ceux qui étaient réfractaires aux nouvelles technologies, s'acheta un téléphone cellulaire dans l'espoir illusoire que s'ils disparaissaient, ils pourraient peut-être continuer de communiquer avec leurs proches, en tout cas, je n'ai jamais vu autant de personnes parler au téléphone que durant cette période. Pendant ce temps, à défaut d'une solution concrète de la part des scientifiques, le gouvernement commença à poser des gestes; l'armée dissémina sur le territoire des soldats en tenue de combat armés de mitrailleuses et de grenades accrochées à leur ceinture pour qu'au au moins, s'ils leur arrivaient de disparaître, ils soient capables de se défendre ou d'attaquer les responsables des disparitions. Il y eu aussi la NASA qui mit sur pied un programme accéléré pour envoyer dans l'espace des sondes spatiales afin de trouver des indices sur l'origine des disparitions spontanées. D'autres mesures furent prises mais la population savait bien qu'il n'en résulterait aucun résultat tangible et qu'elles n'étaient destinées qu'à donner un peu d'espoir au peuple. Des personnes continuaient de disparaître mais ce qui nous donna le plus dur coup, c'est lorsque nous apprîmes qu'un sous-marinier à bord d'un sous-marin nucléaire naviguant à 1000 pieds de profondeur disparu, nous réalisames alors qu'aucun endroit n'était épargné et qu'on ne pouvait se cacher nulle part. Au lendemain de cette nouvelle, des centaines de Montréalais tombèrent en profonde dépression et 32 personnes se suicidèrent, le même phénomène se produisant partout dans le monde mais à moins grande échelle dans les pays où la religion occupait une place importante. Le 23 mars, un autre incident acheva de miner le moral de la population; alors qu'elle animait le téléjournal de 18 heures, la populaire lectrice de nouvelles Carole Devilliers et un million de téléspectateurs virent son co-animateur Patrice Randal disparaître instantanément à ses côtés, madame Devilliers s'effondra en larmes et dit en sanglottant, "Patrice!... nous allons tous mourir... nous allons tous mourir... pourquoi?" Un énorme sentiment d'impuissance nous prit tous par les trippes, et si moi j'ai pleuré, je suis sûr qu'un million de téléspectateurs pleurèrent ce soir-là avec Carole Devilliers.

La première vague de suicides commença pendant la deuxième semaine d'avril et dura trois semaines. Les chiffres officiels ont fait état de 1244 suicides pour cette période, soit une moyenne d'environ 59 par jour, comparativement à 21 par jour pour la période du 15 mars au 9 avril. Ironiquenent, le nombre de suicides dépassait le nombre de disparitions spontanées. Encore là, Montréal était représentative de ce qui se passait ailleurs dans le monde occidental et industrialisé, les autres pays vivant le même phénomène mais à un degré beaucoup moindre. L'élément le plus triste de cette vague de suicides était que ce n'était pas seuleument des personnes individuelles qui se donnaient la mort, mais aussi des familles entières; avant de se suicider, les parents empoisonnaient leurs enfants en leur faisant croquer des capsules de cyanure que l'on commencait à trouver sur le marché noir. À peu près personne ne s'indigna de cet état de fait. Comment pouvait-on les blâmer? Personne n'était revenu nous dire ce qui se passait après avoir disparu et les hypothèses les plus lugubres et les plus folles circulaient sur le sort des victimes des dispatitions spontanées. Entre l'angoisse, l'incertitude, la peur de l'inconnu et une mort physique normale où on sait qu'on ne mourra qu'une fois et qu'après, tout sera terminé, plusieurs choisirent la vraie mort plutôt que de courir le risque pour eux et leurs enfants d'aboutir dans un enfer de souffrances d'où on ne peut s'échapper.

Malgré tout, la majorité des gens continuait de vivre normalement, mais on sentait qu'un fort sentiment de fatalisme s'était emparé de la population. L'achat de biens de consommation augmenta de façon considérable, les gens se disaient, "pourquoi garder notre argent pour nos vieux jours quand on sait que l'on peut disparaître d'une seconde à l'autre?" 20% des salariés quittèrent leur emploi pour aller vivre tous leurs fantasmes et on assista à un dysfonctionnement temporaire de notre système économique de biens et services qui frôla le chaos total. C'est à ce moment que des leaders d'opinions se levèrent et prirent la parole. Le premier fut le Pape Léon XIV qui fit un sermon télévisé en direct de la basilique St-Pierre de Rome qui eu l'effet d'un baume sur le monde entier, même auprès des non-chrétiens. Il trouva les mots justes et recommenda à tous les humains de se receuillir dans la prière pour trouver la force morale de passer au travers de cette épreuve, il termina son sermon par ces mots: "cessez d'égarer votre esprit dans toutes les directions et revenez aux valeurs essentielles de la foi, Dieu vous entendra." Et puis eu lieu trois jours plus tard le fameux discours de la Première Ministre de Grande-Bretagne, Nicole Hawkins, en direct du siège de l'ONU à New-York, qui permit de stopper l'effondrement moral qui affligeait la race humaine. Je me rappellerai toujours de ces phrases avec lesquelles elle termina son discours:

"L'humanité a connu au cours de son histoire divers épisodes où elle se sentait perdue et où elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait, mais elle a toujours trouvé le moyen de survivre. Ce que nous vivons aujourd'hui est un autre de ces douloureux épisodes et nous trouverons encore le moyen de survivre. Mais pour y arriver, il n'est pas question de baisser les bras et de se décourager, nous devons relever la tête et nous retrousser les manches. Il nous reste du temps, et au moment où je vous parle, toutes les ressources de la science sont mises à la disposition des plus grands cerveaux de la planète qui travaillent d'arrache-pied pour trouver une réponse à ces étranges événements qui menacent la race humaine. Toutes les hypothèses sont examinées, toutes les pierres sont retournées, nous trouverons quelque chose, je ne sais pas quoi encore, mais nous trouverons quelque chose. Par contre, il y a une chose dont je suis certaine: l'humanité, comme c'est son habitude, trouvera un moyen de s'en sortir et elle survivra comme elle l'a toujours fait. Merci."

Ce discours eu l'effet d'un électro-choc sur les masses et le nom de Churchill fut évoqué par plusieurs commentateurs; Oui! Il y avait encore de l'espoir. Oui! On allait peut-être découvrir une parade à ces disparitions spontanées, ce n'était pas le moment d'abandonner. La vague de suicides s'estompa peu à peu et la plupart de ceux qui avaient quitté leur emploi reprirent leur travail. La cohésion sociale s'était stabilisée mais les disparitions spontanées, elles, continuaient, inlassablement, jour après jour, partout sur la planète et en augmentant toujours d'intensité. Chaque région de la Terre était touchée proportionnellement à la densité de sa population, ce qui laissait croire que nous étions victimes d'une opération préparée et surtout "programmée" avec soin; cette particularité n'avait échappé à personne et on sentait que c'était peut-être de ce côté que résidait la solution.

Au 15 mai, soit deux mois depuis le début de ces événements, nous en étions à 3,108 cas de disparitions pour Montréal et de 4,150,000 pour l'ensemble de la planète. Un simple calcul nous démontrait que si rien n'était fait et que si les cas de disparitions continuaient au même rhytme et en tenant compte d'un taux de natalité presque nul pour des raisons évidentes, il ne resterait plus un seul humain sur Terre en 2095. Un fort sentiment de solidarité mondiale, toujours entretenu par les personnalités les plus populaires de chaque pays, permettait de maintenir de façon normale le fonctionnement des systémes politiques et économiques de la planète, mais les gouvernements savaient que le tout était fragile et qu'il était nécessaire de poser un geste d'éclat pour redonner de l'espoir à la population. Il fallait faire quelque chose, et vite!


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Plusieurs groupes de travail financés par des gouvernements et des grandes sociétés privées étaient à l'oeuvre partout dans le monde pour trouver une parade aux disparitions spontanées, mais aucun n'avait encore trouvé de solution; il fallait se rendre à l'évidence, les technologies les plus avancées n'étaient pas un gage de réussite, on devait aussi regarder ailleurs et élargir le champ de recherches.

En juillet, alors qu'il analysait les résultats des essais cliniques d'un nouveau médicament destiné à faire baisser la pression sanguine, un chercheur de la société Suisse "Pharmax" réalisa que des 1,495 sujets qui s'étaient portés volontaire pour l'expérimenter, 1488 étaient toujours vivants 68 jours après la première inoculation, les sept autres étaient morts de maladies ou d'accidents; personne n'avaient été victime de "disparition spontanées." Une simple recherche au département de la statistique de la société démontra que la probabilité qu'aucune disparition ne soit survenue chez un groupe bien défini de 1495 personnes pendant une durée de 68 jours était de une sur 504. La direction de Pharmax imposa immédiatement le secrèt absolu à l'équipe de recherche et ordonna le recrutement le plus vite possible de 1,000 autres cobayes afin de confirmer de façon non équivoque l'efficacité de ce médicament -le Ridaxicol- non pas contre la haute pression sanguine, mais contre les disparitions spontanées. Avait-on enfin trouvé le moyen de stopper ce fléau qui accablait l'humanité? Peut-être que oui, mais il fallait en être absolument sûr avant d'annoncer la bonne nouvelle au monde entier, et surtout, on devait comprendre pourquoi le Ridaxicol empêchait les gens de disparaître. Même si c'était difficile, on devait attendre encore un peu.

Six semaines plus tard, aucun des 2495 cobayes n'avait disparu, la probabilité était passé de une sur 1042. Cette fois, plus auncun doute; on avait trouvé le moyen d'empêcher les disparitions spontanées. Le secrèt résidait dans un alpha-bloquant de syntèse révolutionnaire, le ridazosine, développé par Pharmax et destiné à maintenir une bonne circulation du sang. L'équipe de chercheurs, dirigée par le professeur Bernier, en arriva à la conclusion que l'ajout de cet élément synthétique nouveau dans le sang avait suffit à en changer suffisamment sa composition pour éviter tous risques de disparitions. On avait maintenant la preuve que les responsables des disparitions spontanées utilisaient un mécanisme ayant pour base une lecture étroite de la composition sanguine pour ne faire disparaître que des humains. Pour dérégler ce mécanisme, on avait qu'à changer légèrement la composition du sang humain avec le ridazosine. Par un coup de chance extraordinaire, un pas de géant venait d'être franchi pour la compréhension du problème, mais la bataille n'était pas gagnée, loin de là, et le mystère des disparitions spontanées restait entier. Mais au moins, on avait une bonne nouvelle à annoncer à la population, la race humaine pouvait respirer un peu.

Au début du mois d'octobre 2019, Pharmax ainsi que des centaines de sous-traitants à travers le monde commencèrent la fabrication de ridazosine à grande échelle. L'offre ne suffisant pas à la demande, la distribution ne se fit pas sans heurts. De violentes émeutes, dues à la frustation d'une partie de la population qui ne pouvaient se procurer sur-le champ le précieux ridazosine, causèrent des dizaines de milliers de morts et durent être réprimés de façon brutale par les autorités. Ce n'est qu'en janvier 2020 que la production de ridazosine fut suffisante pour qu'enfin, toute la population de la Terre pu avoir droit à sa dose hebdomadaire. La vague de disparitions spontanées était enfin stoppée, mais elle avait fait 21,000,000 de victimes. Où avaient-elles abouti? Dans quelles conditions? Qui étaient les responsables? On en savait toujours rien. Mais on se doutait bien que le problème n'était pas résolu à tout jamais et que nous ne faisions qu'entrer dans une période d'accalmie qui risquait d'être courte. La population mondiale poussa un grand soupir collectif, mais ce sentiment d'extrème soulagement était mélangé à l'étrange impression d'avoir une énorme épée de Damoclès suspendue au-dessus de nos têtes qui pouvait s'abbattre sur nous à tout moment. Tant que nous n'aurions pas compris la nature exacte du problème, on ne pouvait pas crier victoire. Malgré cela, on dansa dans les rues pendant trois jours.


à suivre...