HISTOIRES DE SCIENCE-FICTION
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LA LONGUE LIGNE DROITE



Par Normand Dubois










Belle journée pour voir ce que ma nouvelle Yamasuka "Bullet" a dans le ventre. Le temps est nuageux et il fait frisquet. Tant mieux, je ne serai pas aveuglé par le soleil et les pneus ne chaufferont pas. Le concessionnaire m'a assuré qu'elle pouvait atteindre les 240km/hre, on va bientôt savoir s'il a dit vrai. J'aurais bien aimé que Sophie soit avec moi, mais quand je lui ai dit que je voulais essayer mon nouveau bolide, elle m'a répondu, "oublies-ça! Tu sais que je n'aimes pas ça quand tu roules trop vite, un jour tu vas avoir un accident et je ne veux pas être assise à côté de toi quand ça arrivera." Hey, j'admet que j'aime la vitesse, mais je suis bon conducteur, ça fait toute la différence. Je l'aime bien Soph... ohhh, une autre belle courbe droit devant. Je continue à rouler sur cette route 184 qu'un copain m'a conseillé d'utiliser si je voulais pousser ma voiture à fond. Jusqu'ici il a raison, je n'ai croisé que trois voitures en quinze minutes et il y a plein de belles courbes parfaites pour la conduite sportive. La route est bordée de forêts denses, on se croirait sur le circuit du Nurburgring, mais j'ai hâte d'arriver à ce qu'il m'a dit être la plus belle ligne droite de la région. Ha, j'arrive au petit village de Bâtonville, la fameuse ligne droite ne devrait plus être bien loin, on va voir si... mais... la pression!! J'allais oublier de vérifier la pression des pneus avant de pousser ma voiture à 240 à l'heure, heureusement que j'y ai pensé! J'espère qu'il y a une station-service à Bâtonville. Hum, il n'y a qu'une trentaine de maisons, dont quelques unes abandonnées ... un magasin général... la chapelle... ha! j'aperçois une enseigne, "Garage Robert", sauvé!! Mais nous sommes dimanche matin, j'espère que c'est ouvert. Il n'y a qu'une porte de garage, ça a l'air plutôt rustique. Je stationne à côté de l'unique pompe et sors de la voiture.

Eh mon Dieu, c'est tranquille par ici! Je risque un "est-ce qu'il y a quelqu'un?" mais je pense que c'est peine perdue, c'est sûrement fermé. Au moment où je m'apprête à monter dans ma voiture, je vois un homme agé sortir du garage.

-- Bonjours, on vous fait le plein monsieur?

Bravo! Mais c'est quasiment gênant de seulement lui emprunter son manomètre à pression.

-- Euh... oui oui, allez-y.

Pendant qu'il remplie le réservoir, je vérifie les pneus avec le manométre qu'il m'a prêté. Finalement, je m'inquiétais pour rien, tout est parfait, mais je me sens quand même rassuré. Hehe, le garagiste a l'air d'être impressionné par ma "Bullet".

-- C'est une belle machine que vous avez, êtes-vous de la région?

-- Non, un ami m'a conseillé cette route pour essayer ma nouvelle voiture, et il avait raison, c'est presque un circuit routier.

-- Attention à la vitesse jeune homme.

-- Bah, quand on est est un bon pilote et qu'on a une bonne voiture, il n'y a pas de danger.

-- Ouais, c'est ce que disait mon fils.

-- Ha... votre fils a eu un accident?

-- Je ne sais pas.

-- Vous ne savez pas?!!

-- Non.

Plutôt bizarre comme réponse, mais j'ai l'impression qu'il n'attend qu'un mot de ma part pour en dire plus, et par réflexe psychologique je lui pose la seule question qui me vient à l'esprit.

-- Qu'est-ce qui s'est passé?

Il fait un signe du revers de la main.

-- Bah, je ne veux pas vous embêter avec mes vieilles histoires.

Hehe, il veut vraiment me la raconter son histoire. Je vais lui faire plaisir.

-- Pourquoi ne savez-vous pas s'il a eu un accident?

Il prend un air sombre.

-- Comme toi, il aimait rouler à toute vitesse. Un matin... tiens, une journée couverte comme aujourd'hui, il a pris le volant de la voiture d'un client pour la tester sur la longue ligne droite un peu plus loin. C'était une Avenger GTI, une vrai bombe. Il m'a dit qu'il en aurait pour quinze minutes maximum, et puis...

Il arrête de parler comme s'il regrettait d'avoir commencé son histoire. Il retire lentement le pistolet de remplissage et le raccroche à la pompe. Hey, il a parlé de la longue ligne droite, ça m'intéresse!

-- Et puis?!!

Après un moment d'hésitation, il continue...

-- Il n'est jamais revenu. Personne ne l'a jamais revu, on a même pas retrouvé la Avenger.

-- Mais c'est impossible, on ne peut pas disparaître comme ça!

-- On a organisé des battues dans les bois de toute la région, la police a émis des avis de recherches dans tout le pays, mais ça n'a rien donné. Ça fait trente ans que c'est arrivé et on a jamais trouvé un indice qui nous permettrait de comprendre ce qui s'est passé, c'est comme s'il s'était volatilisé. C'est quand même pas croyable, hein?

-- Je suis désolé pour vous monsieur.

Il me fixe maintenant droit dans les yeux.

-- Comment tu t'appelles jeune homme?

-- Euh... Marc... Marc Ranger.

-- Ecoutes-moi bien Marc, je n'ai pas l'habitude de raconter mon histoire à tout le monde, mais ça doit être parce que tu me rappelles mon fils. Je sais que tu est venu pour la ligne droite, et je vais te donner un conseil d'ami, trouves-toi une autre route pour faire de la vitesse, il s'est passé quelque chose de bizarre là-bas.

-- Merci pour le conseil, je vais y réfléchir. Et je vous souhaite de revoir votre fils un jour.

Il porte son regard vers l'est.

-- Malgré que le village soit en train de mourrir, je reste ici en me disant que François est seuleument en retard et qu'il va finir par rentrer à la maison.

-- Eh bien, je dois y aller maintenant. Bonne chance monsieur.

J'ouvre la portière de ma voiture et...

-- Tu as oublié quelque chose!

-- Ah oui? Quoi?

-- C'est $15.75 pour l'essence.

Hoooo, j'avais complètement oublié! Je le paie en m'excusant et monte dans ma voiture.

Ouf, toute une histoire à dormir debout qu'il m'a raconté! S'il a voulu me faire peur, il a manqué son coup, mais je dois admettre qu'il est un bon conteur. Qu'est-ce que je fais maintenant? Si je vais vers l'est, il verra bien que je ne l'ai pas cru et que je ne suivrai pas son conseil, et si je reviens sur mes pas, ça va gâcher ma journée. Humm... ahhh, et qu'il aille au diable le vieux fou! Je démarre en faisant crisser mes pneus en direction de la ligne droite.



Ça ne devrait plus être tres long maintenant. Encore une virage serrée que je dois prendre à basse vitesse et... WOW!! Une magnifique ligne droite d'au moins quatre kilomètres s'étend devant moi, et aucun véhicule à l'horizon. J'arrête la voiture en faisant ronronner le moteur. Pshhh... on pourrait faire de belles courses d'accélération ici. Au loin, je vois des éclairs fendre le ciel, pas de temps à perdre! C'est le moment de savoir ce que cette bagnole a dans le ventre. J'appuie à fond sur l'accélérateur et les 320 chevaux du 6 cylindres turbo-compressé rugissent, faisant un bruit d'enfer qui est de la musique à mes oreilles. C'est parti! Hahaha, cette voiture porte bien son nom de "Bullet". Après quelques secondes, je fais déjà du 110 à l'heure. Allez, encore plus vite, 140... 165... plus vite... ahhh, l'ivresse de la vitesse... 195... encore plus vite... fantastique!... 205... encore 2 kilomètres de route, je vais y arriver... 215... à 200 mètres devant, un éclair frappe le sol... m'en fous!... je dois continuer... plus vite... 225... un autre éclair se forme, il frappe le sol juste devant... CRAAAAKKK!!! Pendant une seconde je ne vois plus rien! Instinctivement je lève le pied de l'accélérateur en gardant mes mains crispées sur le volant. Ouf, la route réapparait et j'ai gardé la bonne trajectoire. Un peu plus et l'éclair frappait directement la voiture... phew... assez d'émotions pour aujourd'hui. 195... 170... je me suis quand même rendu jusqu'à 225km/hre, pas mal! 90... 50...20... voilààà... je fais un virage en U et j'arrête la voiture. Wow, j'en ai encore la chair-de -poule! Heureusement que Sophie n'était pas avec moi, elle serait sûrement morte de peur. Je me suis assez amusé, il est temps de rentrer à la maison. Cette fois-çi, je vais me contenter d'une vitesse raisonnable, pas plus de 175, et attention aux éclairs!

J'espère que ce vieux gribou me verra quand je repasserai devant son garage. Il réalisera que ses histoires de peur n'ont eu aucun effet sur moi, ça en prend plus que ça pour m'impressionner. Je suis sûr qu'il raconte son histoire à tous les jeunes en voiture sport qui s'arrêtent à son garage. Ça ne devrait plus tarder maintenant, Bâtonville devrait apparaître après cette courbe... tiens, j'étais pourtant sûr que j'y arrivais. À moins que ce soit l'autre courbe un peu plus loin... oui c'est ça, je me rappelle maintenant. Hehe, s'il est à l'extérieur, je pense que je vais lui faire un beau "bye bye" de la main, ça lui apprendra à vouloir faire peur au gens. Mais... toujours pas de village? Après ma course folle, j'ai dû perdre un peu le sens des distances, j'aurais pourtant juré que le village apparaîtrait après cette courbe. Me serais-je trompé de route en revenant? C'est impossible! il n'y avait aucun embranchement. Ah non, il commence à pleuvoir, il ne manquait plus que ça!


Ça doit faire un bon dix minutes que je roule et Bâtonville ne se trouvait qu'à deux ou trois kilomètres maximum de la ligne droite. Je dois me rendre à l'évidence: ausi incroyable que cela puisse paraître, je me suis trompé de route en revenant! Avec tout ça, je vais manquer mon rendez-vous avec Sophie à deux heures, merde!! Il ne me reste plus qu'à revenir sur mes pas et d'être TRÈS attentif pour voir où je me suis trompé de route. J'effectue un virage en U et roule à vitesse réduite de façon à ne pas manquer aucun panneau de signalisation ou embranchement qui me permettrait de retrouver le bon chemin. Après une minute je vois une voiture dans mon rétroviseur qui se rapproche rapidement. On dirait une voiture de police... oui, elle a une lumière rouge sur son toît. Au moins, à la vitesse à laquelle je roule, il n'y a aucun danger que je recoive une contravention pour excès de vitesse. Heureusement qu'elle ne passait pas sur la ligne droite il y a quinze minutes, ça m'aurait coûté cher. Lorsqu'elle me dépassera, je ferai signe au policier de s'arrêter et je lui demanderai de m'indiquer le bon chemin pour revenir à la civilisation.

La voilà qui est tout près derrière moi, ils sont deux dans la voiture. Je baisse la glace pour leur faire signe avec mon bras de... hoho, je pense que ce ne sera pas nécessaire. Ils font clignoter leurs phares et en me doublant me font signe de m'arrêter. Hey, cette fois-çi je n'ai rien fait! À moins que ce soit pour le virage en U que j'ai fait tout à l'heure? J'arrête ma voiture sur le côté de la route derrière celle des policiers. C'est bizarre, mais il me semble avoir vu "Redcreek County Police" sur la porte de l'auto-patrouille, jamais entendu parlé de cet endroit. Les deux policiers sortent de leur voiture. L'un d'eux se dirige vers moi tandis que l'autre reste du côté droit de ma voiture. Ils sont habillés comme des State Trooper américains, de plus en plus bizarre. Serais-je sur une réserve indienne? Pourtant, il n'y en a pas dans la région. Comme à mon habitude dans cette situation, je lui dis avec un sourire, "qu'est-ce que j'ai encore fait?" Il n'a pas l'air commode.

-- Good morning sir, license and registration, please.

Hey, on est au Québec ici, c'est en français que ça se passe!!

-- Pardon?

-- License and registration, please!

Pas question que je lui réponde en anglais!

-- Je ne comprends pas l'anglais monsieur l'agent. Parlez-vous français?

Il est un peu déconcerté par ma réponse. Il regarde son co-équipier et lui dit, "it's a job for you, Maurice". Voilà Maurice qui arrive et l'autre va prendre sa place.

-- Qu'est-ce que j'ai fait de mal monsieur l'agent?

-- Vot' plate d'immatro... d'immutro... d'immatriculation est pas legit.

-- Comment ça, pas réglementaire?!! J'ai fait le renouvellement il y au moins deux mois!

-- J'ai besoin de ton license et registration, si-vous-plait.

Wow, quel accent! On dirait du Cajun. Il parle le français comme on le parle en Louisiane et dans certaines parties du Nouveau-Brunswick. Je lui donne mon permis de conduire et mes enregistrements et il retourne à sa voiture pour vérifier si tout est en ordre, mais l'autre reste debout à l'extérieur. C'est alors que je remarque la plaque d'immatriculation de l'auto-patrouille. En haut est inscrit, STATE OF QUEBEC, et sous le numéro de la plaque se trouve l'inscription, WILDERNESS AND "PLAISIRS". Mais qu'est-ce que c'est que ça?!! Aux dernières nouvelles, le Québec était une province Canadienne, pas un état Américain!! Et ce "Red Creek County Police" inscrit sur leur portière, c'est quoi ça?!! Ça sent mauvais... ça sent mauvais. Et si j'avais affaire à deux cinglés qui jouent aux policiers? Tout est possible dans ce coin perdu. Il y a quelque chose qui cloche ici, en fait il y a plusieurs choses qui clochent, un peu trop à mon goût. Tout ce que je vois n'est pas normal. Si je reste ici, j'ai l'impression qu'il va m'arriver quelque chose de désagréable, de très désagréable. Tiens, v'la l'Cajun qui sort de son auto-patrouille, il fait un signe de la tête à l'autre qui tout de suite met sa main sur le révolver attaché à sa ceinture, pas bon ça! J'ai cinq secondes pour prendre une décision, après il sera peut-être trop tard. Qu'est-ce que je fais?... qu'est-ce que je fais?... Non! Pas de chance à prendre! Qu'ils aillent se faire foutre les deux comiques!! En une fraction de seconde, je démarre, mets le levier de vitesse à "D" et écrase la pédale d'accélération. Bye bye les zozos, essayez de me rattraper maintenant! Je les entends crier "STOP!...STOP!" Je n'ai pas fait dix mètres que j'entend un "POW". Merde, ils me tirent dessus!! Dans mon miroir, je les vois courir à leur voiture et démarrer en trombe sirène hurlante. Mais qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu pour qu'il m'arrive une chose comme ça?!! Heureusement que j'ai une des voitures les plus performantes, sinon LA plus performante sur le marché, mais c'est toujours difficile de semer une voiture de police. Malgré la pluie qui tombe, j'enfile les virages les uns après les autres à toute vitesse, mettant à profit tout ce que j'ai appris à l'école de conduite sportive de "Speed" Boudrias, mais les policiers d'opérette ne se laissent pas distancer facilement. Je devrais arriver à la longue ligne droite dans cinq minutes. Là ce sera différent, et avec ma vitesse de pointe supérieure, je devrais les semer facilement, alors peut-être abandonneront-t-ils la poursuite.

J'ai dû prendre environ 300 mètres d'avance mais ce n'est pas assez, je leur donnerai le coup de grâce sur la ligne dr... haha, la voilà! À fond la caisse! 140... 175... j'apercois dans mon rétroviseur l'auto-patrouille à 100 mètres derrière. Merde! Leur voiture et plus rapide que je ne croyais! Je dois prendre le plus d'avance possible, plus vite! Le ciel est encore remplie d'éclairs. Mais qu'est-ce qu'elle a cette ligne droite?!! On dirait qu'elle attire les éclairs comme la merde attire les mouches!! 190... 215... un éclair frappe le sol à dix mètres derrière... 220... 225... un autre en avant, oh non!!... CRAAAKKK!!! Je ferme les yeux en gardant le cap. Ça ne dure pas plus qu'une seconde. Je rouvre les yeux et... ATTENTION, CAMION DROIT DEVANT!! Je freine en catastrophe et évite de justesse la collision. Mais d'où sort-il celui-là?!! Je regarde dans mon rétroviseur et... il y a une voiture à dix mètres derrière moi, mais ce n'est pas l'auto-patrouille, et il y a un camion derrière cette voiture. D'autres voitures et camions roulent en sens inverse. Serais-je en train de devenir fou? Il y a deux secondes il n'y avait sur cette route personne d'autre que moi et la police et voilà que maintenant il y a plein de bagnoles et les policiers ont disparu. Je dois garder mon calme et faire comme si c'était la réalité, parce que je suis sûrement en train de faire un rêve débile. Je dois me réveiller! Je dois me réveiller! Merde, je n'en n'ai jamais fais un où tout avait l'air si réel. "Réveilles-toi! Réveilles-toi, Marc!" Et si j'avais été drogué sans m'en rendre compte? C'est déjà arrivé à d'autres! Tiens, je vais lâcher le volant, on verra bien ce qui va arriver et ça devrait mettre fin à ce cauchemard. Voilààà, je lâche tout... la voiture se déporte vers le bas-côté de la route et BANG!! "Ouch!" J'ai passé sur un trou et la secousse était trop réelle pour que ce soit un rêve. Je remets mes mains sur le volant et reprends le bon cap en essayant de garder mon calme. Mais qu'est-ce qui m'arrive? Je commences à croire que finalement le vieux fou avait raison; il se passe vraiment des choses bizarres sur cette route. Au moins, la pluie a cessé de tomber et je vois poindre le soleil au travers des nuages. La fin de la ligne droite correspond avec la fin de la forêt et le paysage est maintenant beaucoup plus découvert. La route est bordée de maisons résidentielles modernes, ça ressemble de moins en moins à la campagne. Au loin je vois des édifices... merde, on dirait une ville d'un million d'habitants avec des gratte-ciels de cinquante étages! Hey, c'est supposé être la campagne ici, et la grande ville la plus proche devrait se trouver à 70 kilomètres! Bon, v'là aut' chose, un feu de circulation maintenant! C'est pas croyable... tiens, il y a un grand panneau à cinquante mètres, Bienvenue à Amérika, la capitale du Nouveau-Monde. Haaaa, je comprends maintenant, j'aurais dû y penser!... "MAIS QU'EST-CE QUE C'EST QUE CETTE FOUTU VILLE D'AMÉRIKA!!??" Non, je ne dois pas m'énerver, du calme... du calme... je dois réfléchir. Je vois un restaurant un peu plus loin, je vais m'y arrêter et faire le point. Ouais, c'est une bonne idée ça!


*



Chapitre 2



Je stationne ma voiture dans le stationnement du restaurant. Ouf, juste le fait de m'arrêter et d'éteindre le moteur me fait du bien. Je dois maintenant essayer de comprendre ce qui s'est passé, mais avant tout, ça me prend un bon café. Je sors de la voiture et me rend au comptoir du restaurant pour commander un grand café et un morceau de gâteau pour emporter. Lorsque vient le moment de payer, la caissière regarde attentivement les deux pièces de $2.00 que je lui ai remis et va les montrer au gérant qui est tout près. Il en prend une dans ses mains et fait un signe de la tête voulant dire "oui, tu peux les prendre." La caissière revient et me dit, "je ne savais pas qu'il y avait des nouvelles pièces de $2.00 en circulation!" Je lui réponds, "moi non plus." Elle me rend la monnaie et je retourne à la voiture avec mon café et mon gâteau. Je m'assoie sur mon siège, bien décidé à ne pas sortir du stationnement avant d'avoir compris ce qui m'est arrivé. Presqu'aussitôt une voiture stationne à ma gauche et un couple âgé en débarque. L'homme regarde ma voiture et vient vers moi. Bon, un autre qui va me dire que j'ai une belle bagnole, mais ce n'est vraiment pas le moment. Le voilà à côté de ma portière et il me dit avec un accent anglais,

-- Yamasuka... c'est une voiture Japonaise?

Je suis un peu surpris par sa question, après tout Yamasuka est le premier constructeur automobile mondial et il détient 25% du marché au Canada, tout le monde devrait savoir ça!

-- Oui c'est ça, une Japonaise.

-- À toute les fois que j'en vois une, j'ai le goût de vomir.

Pendant un instant je reste bouche-bée.

-- Pardon?

-- On devrait pendre tous les politiciens qui ont voté pour la levée de l'embargo!

Mais qu'est-ce qu'il raconte?

-- L'embargo?!!

-- Holy shit, qu'est-ce qu'on t'a enseigné à l'école?!! Les Japs ont atomisé la moitié de l'Amérique et tu oses acheter une de leurs bagnoles?!! Tu devrais avoir honte!

Sa femme lui dit, "ahh Harry, ça s'est passé il y a quarante ans, arrêtes de t'énerver avec ça, tu vas finir par avoir une crise cardiaque!" Elle se tourne vers moi, "excusez-le monsieur, mais il était à Chigago quand c'est arrivé en '62."

-- ... en '62?

-- Yeah, je suis un des rares survivants, alors quand je vois quelque chose de Japonais, je m'énerve!

Sa femme le prend doucement par le bras et lui dit, "allez Harry, allons manger et arrêtes de t'exciter," et ils se dirigent vers le restaurant.

Ha la vache, les Japonais ont atomisé l'Amérique maintenant!! Et il y a quinze minutes il n'y avait personne ici et le Québec était un état Américain. C'est à n'y rien comprendre! Je prends une bonne gorgée de café en essayant de mettre de l'ordre dans mon esprit.

Bon, je retrouve peu à peu la capacité de réfléchir à tête reposée. Voyons maintenant! Il s'est passé beaucoup de choses étranges en peu de temps et je dois partir du commencement si je veux m'y retrouver. Quand je suis parti de chez moi ce matin, tout était normal. J'ai roulé sur la route 184 et encore là, tout était normal. Jusqu'ici ça va. Qu'est-ce que j'ai fait après? Ah oui, j'ai passé par Bâtonville où je me suis arrêté au garage Robert car je devais vérifier la pression des pneus. Et c'est là que le garagiste m'a raconté son histoire où son fils a disparu il y a trente ans sans laisser de traces. Après je me suis rendu à la longue ligne droite et c'est là que ça commence à devenir bizarre; j'ai poussé jusqu'à 225 km/hre et la foudre a frappé juste devant ma voiture. Immédiatement après, Bâtonville avait disparu et le Québec était apparemment devenu un état Américain. Et quand les policiers m'ont poursuivi, j'ai repris la longue ligne droite et la même chose s'est reproduite; je roulais à 225km/hre et la foudre a encore frappé au même endroit... je me retrouve dans un autre monde et... hoho!... naaah, c'est impossible! On ne voit ça que dans les livres de science-fiction, quoique ça expliquerait tout. C'est comme si j'étais passé au travers d'une porte, d'un portail, qui donnait sur une fracture spatio-temporelle ou quelque chose du genre et qui m'aurait transporté encore une fois dans un monde où tout est différent. Les conditions étaient les mêmes: le même endroit sur la route, la même vitesse, l'éclair qui frappe devant ma voiture. Et j'y pense, le garagiste m'a dit qu'avant de disparaître, son fils avait testé une voiture sur cette même ligne droite. C'était une Avenger GTI qui à l'époque était la reine des monstres Américains de 400 chevaux et plus, elle aussi pouvait pousser jusqu'à 225 km/hre. Merde, tout se tient! Comme moi, les conditions étaient toutes réunies pour franchir cette porte qui donne sur un autre monde, une sorte d'univers parallèle, et il lui est arrivé la même chose que moi. Ça me fait penser au film "Les trois mondes" de Spencer. C'est incroyable... incroyable... et Sophie? Je ne reverrai plus ma Sophie?!!! Moi qui avait rendez-vous avec elle à deux heures! Je dois trouver le moyen de quitter ce monde où les Japonais ont lancé une attaque nucléaire sur les États-Unies en 1962. Ça veut sûrement dire que le Japon n'a pas perdu la deuxiéme guerre mondiale, phew! Et juste avant j'étais dans un univers où le Québec faisait partie des États-Unies, un monde où l'histoire s'est déroulée différemment de celui d'où je viens. Ce serait intéressant de savoir ce qui a bien pu se passer pour faire bifurquer le cours de l'histoire comme ça. En attendant, je me retrouve dans un monde où les États-Unies ont été dévastés par une attaque nucléaire et où le centre de gravité economique se serait déplacé vers le nord. En tout cas, ça expliquerait la présence de cette grande ville, la capitale du "Nouveau Monde", cette partie de l'Amérique qui n'a pas été touché par les bombes nucléaires et où ceux qui ont tout perdu ont décidé de repartir à neuf.

Il y avait une chance sur un million pour passer d'un univers à l'autre et il a fallu que ça tombe sur moi, c'est pas croyable! Me voilà dans de beaux draps, mais je connais maintenant le moyen de sortir d'ici, et avec un peu de chance, je pourrai peut-être réintégrer l'univers dans lequel je vis. Malheureusement la circulation est trop dense pour faire une tentative tout de suite, je devrai patienter jusqu'à tard ce soir où même cette nuit. Aussi bien en profiter pour en apprendre un peu plus sur ce monde.


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Aprés avoir demandé le bon chemin, je me retrouve enfin devant la bibliothèque municipale qui se trouve en plein centre-ville. Je trouve une place où stationner et au moment où je sors de ma voiture, j'entend un passant dire en regardant ma voiture, "shame!" Un autre qui ne digère pas les voitures Japonaises, je me sentirais plus à l'aise au volant d'une Baxter "Criquet".

Voilà, je pénètre dans la bibliothèque et me rend à la section "histoire". Après quelques minutes à parcourir les tablettes je tombe sur un livre qui a pour titre "Comment nous avons perdu la guerre!" Hey, en plein ce dont j'ai besoin! Je le prends et vais m'asseoir à une table. J'ouvre le livre au sommaire et je vois deux chapitres au titres révélateurs: "La catastrophe de Pearl Harbour" et "Midway: le point tournant!" Je commence à lire et ne vois rien de vraiment différent jusqu'à ce que j'arrive à la liste des navires coulés lors de l'attaque sur Pearl Harbour. Il est écrit noir sur blanc que TOUTE la flotte Américaine du Pacifique, incluant trois porte-avions, fut détruite. Mais... si je me rappelle bien, au moment de l'attaque les trois porte-avions étaient au large et s'en tirèrent sains et saufs. Est-ce que cela aurait fait une si grande différence? Je vais un peu plus loin... le discours de Roosevelt est le même... ça parle de la guerre en Europe...pas de différence là non plus. Voyons voir maintenant le chapitre sur Midway. Ohhh, mais c'est tout le contraire de ce que j'ai appris! Dans cet univers, la flotte Américaine subi une défaite retentissante qui enleva aux États-Unies tout espoir de reconquérir le Pacifique et le Japon put réaliser son rêve d'une "Grande Asie" qui serait sous sa domination. Et voici la déclaration de l'amiral Nimitz: "si nous avions eu un seul porte-avion de plus, nous aurions gagné cette bataille!"

Haaa, je comprends maintenant! Les Américains n'ont pu remplacer les trois porte-avions coulés à Pearl Harbour (ceux, qui dans mon univers, avaient échappé à la destruction.) et cela a suffi pour leur faire perdre la bataille de Midway. Incroyable de voir les répercussions qu'une simple décision administrative peut avoir sur le cours de l'histoire. C'est sûrement la décision de garder les porte-avions au port de pearl Harbour qui a causé un point de divergeance dans la ligne du temps et c'est là qu'a commencé cet univers qui évolue maintenant en parallèle de l'univers d'où je viens. Mais qu'est-ce qui s'est passé après?!! Je retourne chercher la réponse sur les étagères et reviens avec le livre "La guerre froide: 1947-1962".

Houlà, j'y apprend que la défaite de Midway retarda de deux ans le projet du débarquement allié en Europe. Le temps manqua et il n'y eu pas de débarquement! Grace à leur plus grand reservoir humain et avec l'aide des bombardements aériens alliés, les Soviets gagnèrent une guerre d'attrition et à la fin de la deuxième guerre mondiale en 1947, toute l'Europe, sauf la Grande-Bretagne, était devenu communiste. Ouf, ça n'a pas dû être drôle pour l'Amérique d'être pris dans un étau entre le super-bloc soviétique et le Japon impérial! Ça a dû donné un ménage à trois explosif. C'est fascinant de découvrir cette version de l'histoire qui serait dans mon univers de la science-fiction alors qu'ici c'est la réalité. Je continue à lire! J'apprends que les États-Unies n'utilisèrent pas l'arme atomique mais s'en servirent plutôt comme menace pour protéger leurs intérêts stratégiques réduits au seul territoire nord-américain. Évidemment, un climat de guerre froide s'installa et une crise éclata. Je lis avec étonnement que la crise des missiles de Cuba apparait dans deux univers différents. Mais cette fois-ci les Soviets ne reculèrent pas et les États-Unies lancèrent une première salve d'engins nucléaires qui coupa les jambes du géant Russe qui riposta faiblement. Résultat: trois millions de victimes chez les Américains et vingt-deux millions chez les Russes. Merde, la folie humaine dans toute sa splendeur! Hooo, et c'est à ce moment que le Japon vit une opportunité unique se présenter sous ses yeux; voyant les Soviétique avec un genou à terre et les États-Unies occupés dans une guerre à finir, ils attendirent le lancement de la deuxième salve Américaine qui acheva les Soviets et lancèrent massivement leurs missiles balistiques sur les États-Unies. Les Américains, pris par surprise, ne purent réagir. Ce fut la catastrophe! 1500 missiles nucléaires s'abattirent sur le territoire Américain, frappant de plein fouet les grands centres urbains et détruisant les infrastructures qu'on avait mis deux cents ans à bâtir. Les États-Unies venaient d'être rayés de la carte et le Japon devenait la seule super-puissance de la planète. Quelle histoire!! Pas étonnant que dans cet univers je me fasse traiter de traitre avec ma voiture Japonaise. J'apprends qu'après la destruction de leur pays, plusieurs millions d'Américains décidèrent de refaire leur vies au Canada qui s'en était tiré relativement indemne et que ce déplacement massif de population se traduisit par un dynamisme social et économique rarement vu dans l'histoire de l'humanité.

C'est bien ce que je pensais, plusieurs autres villes comme Amérika ont dû poussé comme des champignons. Au moins, je connais maintenant les raisons qui ont mené a la création de ce monde parallèle. Et pour ce qui est du monde précédent où le Québec était devenu un état Américain, je mettrais ma main au feu que le point de divergence a été l'annexion du Canada par l'armée du général Américain Benedict Arnold en 1775. Évidemment , dans mon univers à moi, il a perdu la bataille de Québec, mais s'il avait gagné, c'est en plein le résultat que ça aurait donné. Je suis content que pour une fois ma passion pour l'histoire me serve à quelque chose. En fait, elle me sert à comprendre ce qui s'est passé mais ne m'est d'aucune utilité pour retourner dans mon univers. Maintenant il ne me reste plus qu'à retourner à la ligne droite, et aussitôt que la densité du traffic le permettra, je foncerai jusqu'à 225 km/hre et je quitterai ce monde parallèle. J'espère qu'il n'y en a pas des dizaines de ces mondes différents, sinon ça risque d'être long avant que je tombe sur le bon.


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Il est 3 hres de l'après-midi et il y a encore beaucoup trop de traffic sur la route pour faire un essai, j'espère que je ne serai pas obligé d'attendre le milieu de la nuit pour que la ligne droite soit déserte. Encore chanceux qu'elle existe toujours, ils auraient pu la démolir et faire passer une autoroute à côté ou construire un centre d'achats par-dessus l'endroit précis où je dois passer à 225km/hre. Au moins, j'ai trouvé ce parking d'un commerce fermé le dimanche situé au début de la ligne droite et j'ai une vue parfaite sur la route. Après vingt minutes d'attente, je réalise que le traffic ne diminue pas et qu'au contraire, il ne fait qu'augmenter avec l'heure de pointe qui approche. J'ai bien peur qu'il me faille attendre la nuit, et encore là je ne suis pas certain que la route sera suffisamment déserte pour atteindre 225 km/hre. Je suis condamné à attendre bêtement dans ce parking des heures et des heures sans même être sûr que ça en vaille la peine. Malheureusement, je n'ai pas le choix et... mais... il y a peut-être un moyen. Ça demande de l'audace mais ça devrait marcher. Tout ce dont j'ai besoin, c'est que le ligne droite soit libre de voitures sur une distance de deux kilomètres pour que j'atteigne la vitesse voulue et que je quitte cet univers parallèle, et je crois bien avoir trouvé le moyen d'y arriver: je vais sortir du parking et bloquer la circulation en feignant une panne de moteur. Deux minutes devraient suffire pour que les voitures qui m'ont précédé roulent sur une distance de deux kilomètres, libérant ainsi la route devant moi, et alors je foncerai à vitesse maximale et je franchirai le portail qui débouchera, je l'espère, sur mon univers. Haha, je suis sûr que ça va marcher, et je devrais souper avec Sophie ce soir!


Voilà, j'ai bien planifié ce que je dois faire. Contrairement à tout à l'heure, la circulation doit être la plus dense possible pour que les voitures que je bloque ne puissent me doubler à cause de la circulation qui vient en sens inverse. Il est maintenant 4 heures et toutes les conditions sont réunies pour que mon plan réusisse. Le moment est venu de passer à l'action! Je sors du stationnement, roule sur une distance de 50 mètres, et je m'arrête un peu en billet pour empêcher les voitures qui me suivent de me dépasser par le bas-côté de la route à ma droite. Je coupe le moteur. Et voilà la chorale des klaxons qui commence! M'en fous. allez vous faire foutre! Je sors de ma voiture en levant mes bras au ciel voulant dire que ce n'est pas de ma faute. Je lève le capot de ma voiture pour que ceux que je bloque croient qu'il s'agit d'une panne de moteur. Du coin de l'oeil, je regarde les voitures s'éloigner libérant peu à peu la route devant moi. A vue de nez, deux minutes devrait être suffisant pour qu'elles franchissent les deux kilomètres dont j'ai besoin. Encore 120 secondes à subir les regards plein de... "F... YOU, JAP LOVER!" Bon, encore un autre qui ne digère pas les Japonais! Ne vous inquiétez pas, dans un instant je vais disparaître. Deux gaillards sortent d'une des voitures que je bloque et viennent vers moi. "Alors mon vieux, des problèmes?" Je leur répond, "encore quelques minutes et elle devrait redémarrer." Ils n'ont pas l'air d'être très patients, "écoutes connard, on est pressés, alors tu vas rentrer dans ta bagnole et on va te pousser sur le bas-côté de la route, comme ça tu vas arrêter de bloquer tout le monde." Hum, encore une minute trente secondes à tuer, et si je leur dis d'attendre, j'ai l'impression que ça me coûtera un coup de poing sur la gueule, j'espère qu'ils ne feront pas foirer mon plan. "Euh... je pense que vous avez raison les gars, attendez un instant, je vais fermer le capot." En prenant bien soin de ne pas atteindre la limite de leur exaspération, je rabat le capot et retourne m'asseoir derrière le volant. Devant moi, la voie n'est libre que sur un kilomètre et j'en ai besoin du double. Je dois gagner du temps! "Mais où est ma clef? Je ne trouve plus ma clef!! Si je ne la mets pas dans l'ignition, je ne peux mettre le levier de vitesse au neutre." Les deux lascars ne la trouve pas drôle, "tu le fais exprès ou quoi?" En faisant semblant de la chercher je leur répond, "nonnonnon, j'ai dû l'échapper quelque part, pendant que je la cherche à l'intérieur, pouvez-vous regarder sous la voiture?." Les deux gaillards sont maintenant à quatre pattes en train de chercher la clef que je tiens dans ma main. On y est presque, encore dix secondes et je devrais avoir assez d'espace pour atteindre 225 km/hre. "Ok les gars, je l'ai trouvé!" Ils se relèvent et me disent, "mets le levier au neutre, on va te pousser sur le côté de la route!" Ça y est, il devrait y avoir suffisamment de distance devant moi! Je tourne la clef de contact. Vrooomph, vroooomph, je mets le levier de vitesse à "D" et écrase l'accélérateur. 40... 90... 120... j'espère que j'ai bien évalué la distance qui me sépare de la dernière voiture qui me précède. 160... 190... ça va être serré, mais il est trop tard pour arrêter. 200...210... les éclairs commencent à apparaître mais je m'approche dangeureusement de la dernière voiture, vais-je y arriver? 220... plus que cinquante mètres avant que je frappe la voiture devant... des éclairs autour de ma voiture... plus que dix mètres avant la collision, je ne réussirai pas! Eclair droit devant! CRAAAAKK, "ATTENDS-MOI MA SOPHIE, J'ARRIVE!!"


*



CHAPITRE 3



Je rouvre les yeux et il n'y a pas d'autres voitures sur la route. Ouf, pendant une seconde j'ai crû que je ne réussirais pas à changer d'univers. Reste à savoir si je suis dans MON univers. Ça y ressemble en tout cas. Je regarde au loin et la ville d'Amérika a disparu, très bien. Hey, je pense que j'ai réussi, mais pour en être complètement certain, je dois revenir sur mes pas, et si le village de Bâtonville est là où il doit être, l'affaire est dans le sac! Je fais un virage en "U" et commence à rouler, dans cinq minutes je devrais être fixé. Tiens, je vois un camion qui arrive en sens inverse. Ahh, ça fait du bien de voir que ce n'est pas complètement désert ici, c'est de bonne augure pour la suite des choses. De toutes façon, il ne doit pas en exister des dizaines de ces univers parallèles, je dirais deux ou trois tout au plus. C'est déjà extraordinaire que j'en aie visité deux. Et pendant que j'y pense, il faudrait bien avertir les autorités compétentes du danger que représente cette ligne droite. Hahaha, ils diront sûrement que j'ai trop lu de livres de science-fiction, mais ils devront se rendre à l'évidence. Voilà le camion qui approche, on dirait un camion militaire mais ayant comme emblême une fleur de lys sur le capot. Hehe, probablement d'ardents indépendantistes qui ont acheté un vieux camion au surplus de l'armée et qui l'ont repeinturé à leur façon. Lorsque le camion me croise je peux lire sur la portière "République libre du Québec". Hahaha, ils prennent vraiment leur cause au sérieux... à moins que... hum, j'espère que ce n'est qu'une coincidence.

Je devrais arriver bientôt au village... ha voilà, je vois un panneau qui indique que Bâtonville est à deux kilomètres. Excellent! Ça m'a tout l'air que j'ai retrouvé mon univers. Quelle aventure je viens de vivre, personne ne voudra jamais me croire, c'est tellement incroyable que moi-même j'ai de la difficulté à réaliser ce qui vient de m'arriver. Ha, il y a deux autres camions militaires précédés d'une jeep sur la route. On dirait que... ha non, pas encore!! Ce sont des camions des forces armées de la "République libre du Québec". Merde, j'ai bien peur que j'aie encore abouti dans un autre univers parallèle. Cette fois-çi, on dirait que je me retrouve dans un Québec qui serait devenu un pays indépendant ayant sa propre armée. Pffff, ça commence à être lassant. Il y a des bâtiments sur ma droite, Ça ressemble à des casernes d'une base militaire. Je passe devant l'entrée où deux soldat font le guêt devant une guérite et cette fois il n'y a plus aucun doute, c'est écrit en toutes lettres: "Forces armées de la République du Québec, base militaire du 2ième régiment d'infanterie "D'Iberville". Il y en a combien de ces univers parallèles?!!! C'est le troisième, sans compter mon univers d'origine, et j'ai fait tout ça en même pas neuf heures, incroyable! Pas de temps à perdre ici! Je dois retourner sur la ligne droite et faire un nouvel essai. Mais avant, je dois remplir le réservoir d'essence, ma Bullet est performante mais elle est particulièrement gloutonne en carburant. Tiens, j'en profiterai aussi pour acheter à boire et à manger, c'est que je commence à avoir faim, et je ne sais pas combien de temps il me faudra pour retrouver mon monde à moi.

J'entre dans le village de Bâtonville et il y a beaucoup d'activité, ça n'a pas l'air d'un village en train de mourir comme la dernière fois où j'y suis passé. C'est clair que la base militaire toute proche lui a donné un regain de vie. Hum, il commence à faire noir, je devrai attendre à demain avant de faire une nouvelle tentative. Je dois me ravitailler et trouver un endroit pour passer la nuit afin d'être frais et dispos pour demain matin. La station-service du vieux fou... euh, il n'est pas si fou que ça en fin de compte, est toujours là et il a même ajouté une deuxième pompe. Hehe, les affaires ont l'air de plutôt bien marcher. Premièrement: remplir le réservoir d'essence! J'espère que les dollars Canadiens que j'ai en poche ont encore cours dans un Québec indépendant. Je m'arrête à côté d'une des deux pompes du garage Robert et voilà le même vieil homme qui vient vers moi.

- On vous fait le plein monsieur?

- Oui, oui, allez-y.

- C'est une belle machine que vous avez!

L'univers est différent mais l'homme est le même.

- C'est le dernier modèle de Yamasuka.

- Attention à la vitesse, jeune homme. Me voilà fixé, dans cet univers il a aussi perdu son fils sur la longue ligne droite. Mais cette fois-çi, je sais ce qui est arrivé.

- Je sais... je sais.

Il me regarde en hochant la tête de gauche à droite.
- Non, tu ne sais rien mon gars.

Je sais à quoi il veut en venir mais à quoi bon lui dire ce qui s'est passé, ça ne changerait rien et ça ne ferait que compliquer les choses.

Il a terminé de faire le plein et c'est maintenant le temps de payer. "Ça fera $50.25 s'il-vous-plait." Je sors trois billets de $20.00 de ma poche et les lui remet. Il les regarde et dit, "non, non, non, ces billets n'ont plus cours depuis 10 ans, à quoi tu joues mon gars?" En plein ce que je redoutais! Si au moins je pouvais déguerpir en trombe comme un voleur et rejoindre la ligne droite, mais une voiture à la pompe no.2 me bloque le passage et une autre est derrière moi qui attend que je parte. "Excusez-moi, mais c'est tout ce que j'ai." Il me répond sèchement, "sors tes dollars Américains ou ta carte de crédit sinon j'appelle la police!" Evidemment, il y a une chance sur un million pour que mon numéro de carte de crédit soit le même dans deux univers différents mais pour gagner du temps je la lui remets. Ouch, ça n'a pas l'air de fonctionner non plus. "Caisse populaires Desjardins?!! Mais ça devrait être Caisse NATIONALE Desjardins?" Comme réponse, je ne puis que balbutier une phrase incompréhensible. D'un geste vif, il allonge son bras et retire la clef de l'ignition. "Ok, j'en ai assez avec toi! Tu ne bouges pas d'ici avant que la police arrive." Il crie au mécanicien qui travaille dans le garage, "Rocco, appelle la police, on a un problème!" et il attend à côté de moi. Comment m'en sortir cette fois-ci? Et quand la police va arriver, que vais-je leur dire? Et si je leur disait la vérité? Ça pourrait être une solution, mais ça ne résoudra pas mon problème, et est-ce que je veux vivre dans un univers qui n'est pas le mien? Sans ma Sophie, sans rien en fin de compte. Je dois gagner du temps. Je regarde le vieil homme droit dans les yeux et lui dit: "Monsieur Robert, je sais ce qui est arrivé à François!" Ma phrase le prend par surprise. "Qu'est-ce que tu dis?!!" C'est à moitié gagné mais je dois lui en dire plus. "Il y a trente ans, la Avenger, la longue ligne droite, sa disparition, je sais ce qui s'est passé, il m'est arrivé la même chose." Je vois dans son regard que j'ai ravivé un espoir perdu depuis longtemps. "N'appelez pas la police, je peux tout vous expliquer." Il hésite quelques secondes et il crie à son mécanicien, "ok Rocco, laisse tomber, c'est réglé maintenant!" Il se tourne vers moi et dit,"descends de ta voiture et attends-moi dans l'office, je vais stationner ton bolide."


C'est l'heure de fermeture de la station service. Le mécanicien est parti et Monsieur Robert a barré les portes de garage. Le voilà qui pénètre dans l'office. "J'espère pour toi que tu sais vraiment ce qui s'est passé, parce que si tu me racontes des histoires, je brûle ta voiture!" J'ai pris la décision de tout lui dire sans rien oublier, mais va-t-il me croire? Je commence à déballer mon histoire jusqu'aux moindres détails et il m'écoute sans dire un mot, mais je sens qu'il est prêt à m'arrêter à tout moment pour me dire, ou plutôt me crier à la figure que mon histoire n'a aucun sens.

15 minutes plus tard...

"... et voilà Monsieur Robert, c'est ce qui s'est passé. Maintenant je dois me ravitailler et trouver un endroit où passer la nuit, et demain matin, je ferai une autre tentative sur la longue ligne droite pour regagner mon univers".

Ouf, j'ai terminé. Evidemment, il ne croira jamais un mot de ce que je viens de raconter, je suis même surpris qu'il m'ait écouté jusqu'à la fin sans m'interrompre. Hum, je ne veux pas avoir à l'assommer et reprendre la clef de ma voiture qu'il a dans sa poche. Je ne veux vraiment pas lui faire du mal, mais je n'aurai pas le choix. Oh, le voilà qui se lève de sa chaise en donnant un coup de poing sur la table.

-- J'ÉTAIS SÛR QUE C'ÉTAIT ÇA!!

??!!!

-- J'en étais sûr, c'est la seule explication possible et tu viens d'en apporter la preuve! Merci mon gars, ça veut dire que François est peut-être encore vivant.

-- Euh... de rien.

-- Demain matin nous partirons à la recherche de François!

Hoho!

-- Nous!!?

-- Ben oui, on va trouver mon François et on va le ramener à la maison!

Pas question que je l'emmène avec moi.

-- Mais ce n'est pas raisonnable Monsieur Robert, on ne sait même pas dans quel univers nous allons aboutir et en plus, il y a assez de moi qui aie perdu son univers.

Ce que je viens de dire semble le faire réfléchir.

-- Mais...

Je fais un signe de tête voulant dire non.

-- Je penses que tu as raison, ça ne ferais qu'amplifier le problème et de toute façon, je ne sais même pas si je pourrais le reconnaître après trente ans, il doit avoir 52 ans maintenant. Mais jures-moi que si jamais tu le vois, tu feras tout ce qui est possible pour le ramener dans son univers.

Sans trop y croire, je lui réponds "je vous le jure!" Ça semble le rassurer un peu.

-- Tu t'appelles comment mon gars?

-- Marc, Marc Ranger, votre alter ego m'a déjà posé la même question dans mon univers.

-- Ah oui, tu me l'a dis tout à l'heure. C'est incroyable ce qui est arrivé. Après les recherches qui n'ont rien donné, j'ai dû roulé des centaines de fois sur cette route afin de trouver la clef de l'énigme, et après quelques mois, j'en étais arrivé à la conclusion que seul un événement exceptionnel, genre une fois sur un million, était survenu. Devant l'absence totale d'indices, j'avais même pensé qu'il s'était fait kidnappé par un vaisseau extra-terrestre. Un jour, en regardant un film de science-fiction à la télévision...

-- Les Trois Mondes, de John Spencer?

-- Oui, je pense que c'est ça. C'est alors que j'ai pensé que c'est quelque chose du genre qui était arrivé à François. Sans le vouloir, il était passé par une ouverture qui donnait sur un autre monde, un autre univers. Et voilà que tu arrives des années plus tard me confirmer cette théorie. Merci Marc.

-- Monsieur Robert, il faut absolument garder secrèt ce que nous savons sinon, inévitablement, quelqu'un voudra tenter l'expérience et on ne sait pas comment tout ça va se terminer.

-- Tu as raison. Il ne reste plus à espérer que personne d'autre n'ait la stupide idée de pousser sa bagnole à 225 km/hre sur cette ligne droite.

Je ne peux qu'esquisser un petit sourire forcé. C'est maintenant à mon tour de lui poser des questions.

-- Dans mon univers le Québec fait encore partie du Canada. Qu'est-ce qui s'est passé Monsieur Robert? Comment le Québec est-il devenu indépendant?

-- 1989, le fameux discours de Bourassa qui disait que le Québec était le seul maître de son destin, c'est à ce moment que ça a commencé. Après, tout s'est passé très vite...

-- Oui, et après?!!!

-- Quelques jours plus tard, il y a eu l'incident "pas de couilles Boubou".

-- "Pas de couilles Boubou"?!!!

-- Oui, pendant la période de question et réponse à l'Assemblée Nationale, un député d'arrière-banc du Parti Québécois a murmuré "pas de couilles Boubou" en entendant le Premier Ministre Bourassa enlever tout son sens à son fameux discours. On n'a jamais su qui l'avait dit mais ça a fait tout un tollé qui dura des jours. Une semaine plus tard, le même jour, deux éditoriaux, un par Conrad Hutchison dans le Toronto Sentinel et un autre par Dorothy Parsons dans le Vancouver Telegram mirent le feu aux poudres. Par une coincidence extraordinaire, les deux éditoriaux portaient le même titre: "No guts Boubou or No guts Quebecers?"...

Ouch, ça a dû faire mal!

... C'était un cadeau tombé du ciel pour le Parti Québécois et tout le mouvement indépendantiste et ils ne se privèrent pas d'exploiter à fond cet incident. Il faut avouer que pour déchirer leurs chemises, ce sont les meilleurs. Une montée d'indignation souleva la population du Québec et même plusieurs porte-paroles fédéralistes se laissèrent emporter par l'émotion. Certains éditorialistes Québécois répliquèrent avec des articles ayant pour titre "Red neck Canadians?" ou encore "Cowboy trash talk?" -écrits en anglais pour bien se faire comprendre- qui n'aidèrent pas à alléger l'atmosphère. Bref, la chicane était prise dans le pays.

Incroyable de voir comment le commentaire insignifiant d'un député d'arrière-banc peut changer le cours de l'histoire.

-- Est-ce qu'il y a eu un référendum?

-- Oui mon gars. Pour faire une histoire courte, s'il voulait sauver la face, Bourassa n'avait plus le choix: la conférence constitutionnelle avait échouée quelques semaines plus tôt, il s'était peinturé dans le coin avec son récent discours et il ne voulait pas être surnommé "Pas de couilles Boubou" jusqu'à la fin de ses jours. Le gouvernement décréta qu'il y aurait un référendum pour en finir une fois pour toute avec cette question d'indépendance nationale.

-- Et quelle a été la question?

-- "Voulez-vous que le Québec se sépare du Canada et devienne un pays indépendant?"

-- Et la population a voté "oui"?!!!

-- Pas croyable, hein? 65% oui, 35% non. Le gouvernement était sûr que le oui ne passerait jamais avec une question aussi dûre, mais faut croire que le peuple Québecois a piqué une crise de nerfs. Avec tout ça, on a perdu le Canada mais on a gagné le Québec. Pourtant, le Québec, on l'avait déjà, hein mon gars?

-- Euh...

-- Finalement, bien malgré lui, Robert Bourassa est devenu le premier Président de la République du Québec et on lui a érigé une statue, c'est pas fantastique ça?

-- Ah ça, oui. Et comment s'est déroulé la transition de province à pays?

Monsieur Robert fronce les sourcils.

-- Pas facile... pas facile... ce n'est pas encore fini d'ailleurs. La question du grand nord n'est pas réglée... et il y a les indiens, c'est délicat tout ça. En tout cas, ça n'a pas pris un mois et le dollar Canadien s'était effondré. Jusqu'ici, malgré les belles promesses, l'indépendance ne nous a apporté que des problèmes. Si tu veux mon avis mon gars, on était bien mieux avant.

-- Et qu'est-ce qui...

-- Assez parlé maintenant! Ma maison est juste à côté, allons souper et après je vais te préparer quelques provisions pour demain, tu pourrais en avoir besoin. Tu vas coucher dans la chambre d'amis. Je dois me lever à 6.00 heures, alors reposes-toi bien si tu veux être en forme pour demain matin.


#



Le lendemain matin, 06:45heures.

"Je t'ai préparé un sac de provisions, si tu as des problèmes, tu devrais pouvoir tenir trois jours avec ça." Je le remercie et quand j'ouvre la portière de ma "Bullet" je vois des contenants d'essence dans le compartiment arrière. "Ouais, ce sont cinq contenants de 20 litres, on ne sait jamais où tu pourrais aboutir, tu pourrais en avoir besoin. Et ne t'en fais pas, j'ai ajusté la pression des pneus en conséquence." Heureusement que j'ai abouti dans cet univers où le garage Robert existe, il me facilite vraiment l'existence celui-là. Bon, c'est le moment de partir, je serre la main de Monsieur Robert en le remerciant pour tout ce qu'il a fait pour moi. Il me répond, "allez, bonne chance, et si tu peux ramener François avec toi dans ton univers, ce sera encore mieux." Au moment où je fais démarrer ma Yamasuka, il me dit, "je vais te suivre jusqu'à la ligne droite, je veux voir de mes propres yeux comment ça se passe." Hum, j'espère qu'il ne veut pas franchir le portail lui aussi. Il se dirige vers son camion de remorquage. Ça me rassure, il ne pourra jamais atteindre 225 km/hre avec ça.


Ça y est, nous y sommes! Je m'arrête au début de la ligne droite et le camion de Monsieur Robert vient se placer à côté de moi. Je lui dis d'aller se placer à 1500 mètres devant s'il ne veut rien manquer. Il me fait un signe de la main en disant "bonne chance mon gars!" J'attends une minute qu'il soit en position. Voilà, c'est fait. À mon tour maintenant. Cette fois-çi il faut que ça réussisse et que je retrouve ma Sophie, il le faut!! La voie est libre, parfait! J'écrase la pédale d'accélération, c'est parti! 60 km/hre, 90... 120... encore plus vite... 175... Je passe à la hauteur de Monsieur Robert qui est descendu de son camion. J'ai à peine le temps de l'apercevoir faisant tourner rapidement son bras, comme s'il voulait me dire "plus vite, plus vite!" 210... les éclairs apparaissent... 220... gros éclair droit devant, je dois réussir!...je dois réussir!... CRAAAK!!


*



CHAPITRE 4



"MAIS QU'EST-CE QUE C'EST QU'ÇA?!!" Je me retrouve sur un chemin de terre battue à 225 km/hre!! Je freine en catastrophe et les freins ABS III font leur travail, mais le sol est trop meuble... ATTENTION, ÇA DÉRAPE!!... "BANG!"

"Phew!" Au moins la voiture ne s'est pas retournée et je n'ai rien de cassé. Si jamais je reviens dans mon univers, je vais faire campagne pour qu'on érige une statue dédiée à l'inventeur du coussin gonflable. Je m'extirpe de la voiture et à mon grand soulagement elle ne semble pas trop abimée, je n'ai fait que déraper et glisser sur le bas-côté de ce chemin, ouf! Voyons maintenant où j'ai bien pu aboutir cette fois-çi. Hum, je me trouve en pleine nature, mais l'herbe et le feuillage des arbres, du moins ce qu'il en reste, est plus gris que vert. On dirait un environnement à moitié-mort. Poutant nous sommes au mois d'août et tout devrait être vert et touffu. Bizarre... bizarre... Et ce chemin de terre battue, je devrais plutôt dire ce BOUT de chemin! C'est une ligne droite d'environ un kilomètre de long construit sur une base d'un mètre de haut faite de terre et de pierres compactées. Mais le plus étrange, c'est qu'il n'aboutit sur rien, on dirait qu'on a construit un bout de chemin d'un kilomètre de long en plein milieu de nulle part... mais pourquoi?!! Une route en construction inachevée? Un projet domiciliaire avorté? Et pas une habitation aux alentours, même pas une vulgaire cabane! Oh! Je vois une voiture à 30 mètres, on dirait plutôt une épave comme on en voit dans des cimetières d'autos. Plus je m'en approche et plus ça a l'air d'être ... UNE AVENGER!! Ça ne peut être que celle de François! Incroyable, nous avons abouti dans le même univers! Vu son état de détérioration avancé, l'Avenger doit croupir ici depuis des dizaines d'années. Elle est accidentée à l'avant et les essieux sont crochis. Ouch! l'arrivée dans ce monde a dû être brutale. Mais ce qui est bizarre, c'est que les sièges ont disparus. Hum, étrange... En tout cas, si la Avenger est ici, il y a des chances que François soit encore dans les parages. À moins qu'il soit mort, ça fait quand même 30 ans qu'il est ici et tant de choses ont pu arriver. Bon, c'est le moment d'explorer les environs, peut-être trouverais-je quelque chose ou quelqu'un. En fait, j'aimerais bien trouver une remorqueuse, on peut toujours rêver...


Phew! Ça doit bien faire 30 minutes que je tourne en rond et à part cet environnement presque mort et quelques rats des champs, je n'ai toujours pas... tiens, il y a quelque chose cachée à moitié par les arbres, on dirait... UNE CABANE!! Ça y est, j'ai trouvé quelque chose! Et s'il y a une cabane, quelqu'un doit y habiter! Elle a l'air plutôt rustique et en plus on dirait qu'elle est abandonnée, mais elle sera parfaite pour y passer la nuit.

Me voilà devant la porte, sans poignée, de ce que je pourrais qualifier d'un camp de chasseur de 5 mètres par 5 fait de troncs d'arbres mal taillés. "Y'A QUELQU'UN?"... hum, pas de réponse. Machinalement je cogne à la porte... toujours pas de réponse. Le moment n'est pas aux bonnes manières. Je pousse la porte et j'aperçois aussitôt les sièges de l'Avenger qui font office de sofas, une table rudimentaire, quelques tablettes au murs et un four à bois. Ce n'est vraiment pas le grand luxe ici, mais à défaut d'un Hilton, ça fera parfaitement l'affaire pour y passer la... HEY!! Quelqu'un est dans la porte!! Cheveux longs et barbu, il me regarde comme si je venais de la planète Mars. À moi de faire les premiers pas. "François?" Il me répond en hochant la tête et en souriant. Ouch! il ne doit pas y avoir de dentiste dans le coin! "Il m'est arrivé la même chose qu'à toi il y a trente ans. La longue ligne droite, les éclairs, un univers parallèle!" Il me répond "toi aussi? A quelle vitesse roulais-tu?" Je lui répond en faisant la conversion en milles à l'heure, "environ 140 milles à l'heure." Je vois ses yeux s'illuminer, il doit avoir mille et une question à me poser.

30 minutes plus tard...

- ... et me voilà ici. C'est quand même extraordinaire que je me retrouve avec toi dans cet univers qui n'est pas le nôtre.

- Je savais bien qu'un jour quelqu'un finirait par arriver ici. Mais ça été long... très long.

- À moi maintenant de te poser des questions. Ce bout de chemin, c'est toi qui l'a fait?

- Ouais, 3 ans que ça m'a pris! Quand je suis apparu dans ce monde de merde, j'ai failli y laisser ma peau- nez cassé, 2 côtes brisées, etc.- et il n'y avait plus rien à faire avec l'Avenger. Alors je me suis dis que si quelqu'un atterrissait dans ce bled, il aurait une chance de s'en sortir en arrivant sur cette route. Et je l'ai faite assez longue pour qu'on puisse atteindre la bonne vitesse pour sortir d'ici.

- Donc tu as compris ce qui s'était passé?

- Je n'en étais pas vraiment sûr, mais c'était la seule explication logique. Et puis ça m'a donné un but, une raison de vivre pendant les premières années.

- Et c'est quoi ce monde où nous sommes? On dirait que tout est mort ici.

- Bonne question! Mais je n'ai pas de réponses. J'ai exploré environ 20 kilomètres à la ronde, mais je n'ai rien trouvé d'autre que du bois sec et des rats des champs. Une chance qu'ils sont là ces rats, sinon ça ferait longtemps que je serais mort de faim. À propos, tu dois avoir faim, veux-tu manger quelque chose?

- Euh... non merci.

- Pour le reste, il n'y a pas grand chose à dire; les saisons qui défilent les unes après les autres, puis les années, les rats, l'attente, l'espoir qui diminue peu à peu jusqu'à ce qu'il n'en reste plus. J'ai pensé à me laisser mourir, mais l'instint de survie prend toujours le dessus. Faut croire que je suis devenu comme ces rats. Aprés toutes ces années je suis devenu le roi des rats, c'est tout ce qu'il y a de vivant ici... HEY! MAIS C'EST FINI TOUT ÇA!! Tu es là et on va foutre le camp d'ici avec ta voiture!. Tu m'as dis qu'elle n'est pas trop endommagée?!!

- Elle n'a pas l'air endommagée mais ça prendrait une remorqueuse.

- Hahaha, je la remonterai sur la route à bout de bras s'il le faut. Allons voir ça!


*



"Wow, ça c'est d'la bagnole! Une Japonaise... pshhhh!" Je lui demande comment allons-nous faire pour la remettre sur la route. "Pas de problèmes!" qu'il me répond. "On vas descendre la route à son niveau. Un tronçon de 25 pieds avec une légère pente suffira, et si on travaille bien, elle sera sur la route et prête à partir avant la tombée de la nuit."

8 heures plus tard...

"Bravo mon Marc! On a fait du bon travail!" Nous sommes épuisés mais l'espoir de sortir d'ici fait oublier bien des choses. "Allez, démarres ton bolide et vas le placer sur la route!" Je m'installe derrière le volant et je tourne la clef... "VROUMPH, VROUMPH"... Ouf! Ma fidèle Yamakusa démarre toujours au quart de tour! Je monte doucement la rampe de pierres et de terre batttue que nous venons de construire... encore quelques mètres et ça y est... voilà, c'est fait! "C'EST BEAU MON MARC!!" François est fou de joie. Il vient vers moi en dansant et me serre la main. "Allez mon Marc, foutons le camp d'ici!" Il commence à faire nuit et je me dois de refroidir ses ardeurs. "Écoutes François, dans 10 minutes il fera nuit et on ne sait même pas dans quelle sorte de monde nous allons apparaître. J'ai bien peur que tu doives passer une dernière nuit ici". Après quelques secondes d'hésitation où un sentiment de résignation remplace ses effusions de joie, il dit en soupirant, "je pense que t'as raison. Je vais être obligé de me taper un autre bifsteak de rat encore ce soir!" Je lui montre du doigt le sac de provisions que son père m'a préparé avant de partir, "pas de rats des champs au menu. Crois-moi, ce soir tu vas te régaler!"


* Il est 6:00 heures du matin et François est assis à côté de moi dans la voiture. Nous nous mettons d'accord pour faire un premier essai à vitesse réduite pour connaître les limites d'adhérence sur ce chemin de terre battue. Vroumph... vroumph... c'est parti! 50km/hre... ça a l'air d'aller... je pousse un peu plus... 100... 150... 175... hey, ça va même très bien! Nous sommes presque arrivé à l'extrémité du chemin, il est temps d'arrêter. Nous nous regardons avec un sourire complice, "je pense que ça va marcher mon Marc!" J'hésite un peu avant de tenter le grand coup, nous devrions peut-être faire un autre essai avant. "T'attends quoi là?!! Allez, c'est le moment ou jamais!" François a raison. Si ça passe, tant mieux! Si ça casse, tant pis! N'ayant pas l'espace pour faire un virage en U, j'enclenche la marche arrière pour revenir à notre point de départ à l'autre extrémité de la route. Deux minutes plus tard nous sommes en position. Si ça marche, Dieu seul sait où nous allons aboutir, mais pas question de rester ici! J'entend François me dire d'une voix étouffée, "Allez, mets-y toute la gomme!" J'enfonce la pédale d'accélération. C'EST PARTI! 80 km/hre... 140... 180... la sensation de vitesse est accentuée par la rugosité du revêtement... ouch! ça vibre trop!... 200 km/hre... la vibration disparaît et la Yamakusa semble voler à quelque centimètres du sol... je ne pourrai pas garder le cap encore bien longtemps... 215 km/hre, les éclairs apparaîssent... un gros fend le ciel à 100 mètres... 225... un autre, plus gros encore... il va nous frapper!!... "CRAAAAK!"

DE L'ASPHALTE!! Nous sommes sur une route pavée et la voie est libre devant, ouf! 175... 140... ça va mieux... ma brave Yamakusa a encore fait le travail. J'arrête la voiture et me tourne vers François qui est blanc comme un drap, déjà qu'il n'avait pas le teint bien reluisant au départ. Nous gardons le silence quelques secondes et nous sommes soudainement pris d'un ricanement nerveux, comme cela arrive parfois après un moment de tension extrème. "Félicitation mon Marc, on a réussi!" Hum, en apparence oui, mais les apparence sont souvent trompeuses. Au moins ça ressemble à notre monde à nous. "J'espère que tu as raison François, mais il ne faut pas crier victoire trop... " Tiens, une voiture arrive vers nous, mais on dirait que... elle arrive de reculons! Et elle roule vite! Je déplace mon bolide sur le côté de la route et nous la regardons passer. "Merde, elle doit rouler au moins à 100 km/hre de reculons" me dit François. Il y en a deux autres qui arrivent en sens inverse... LA MÊME CHOSE, DE RECULONS AUSSI!! Hoho! C'est pas normal ça! Francois me tape sur l'épaule nerveusement en me disant "regardes ça!", une mouffette est en train de traverser la route... de reculons!!! La première voiture passe à côté de nous à grande vitesse, toujours à reculons, mais la deuxième -une voiture de police- s'arrête à notre à notre hauteur et l'agent nous dit quelque chose... mais qu'est-ce que c'est que ce charabia?!! Par son ton, on dirait qu'il nous demande si tout est ok ou si nous avons besoin d'aide, mais les mots qu'il prononce sonnent comme un enregistrement qu'on ferait jouer à l'envers. Nous le regardons en silence avec un air hébêté. Sur la porte de son véhicule se trouve une inscription incompréhensible, on dirait... merde! c'est écrit à l'envers! Il stationne son auto-patrouille devant nous et en sort...en marchant de reculons!! Je me tourne vers François et nous nous regardons avec un air incrédule. En murmurant je dis, "pas question de rester ici!" François retrouve l'usage de la parole, "foutons le camp de ce monde à l'envers et faisons un autre essai. Allez, démarres, DÉMARRES!!" Je tourne la clef de contact, "VROUMPHHH... VROUMPHHH"... je tourne la voiture de 180 degrés en faisant patiner les roues sur le bitume et nous nous engageons sur la longue ligne droite dans un nuage de fumée. C'EST PARTI!... encore une fois! C'est libre droit devant, parfait! 110... 150... 200... 215... les éclairs!... 225... ATTENTION!... CRAAAAK!


*



Chapitre 4



"LA LONGUE LIGNE DROITE!!" Ouf! Au moins, nous n'avons pas atterri dans un champ de betteraves. "La route est bien là, mais ça ne veut pas dire qu'on est chez nous!" lance François. Je décélère à 100 km/hre. Une voiture vient vers nous eeeeeet... elle ne roule pas de reculons!! Ok, jusqu'ici ça va. Nous passons devant un panneau de signalisation... "BÂTONVILLE 4 KILOMÈTRES" et nous croisons quelques voitures de modèles connus. Wow, ça s'annonce bien! François ne peut s'empêcher de s'exclamer, "cette fois-çi c'est la bonne!!" Nous entrons dans le village et ça semble être le même que j'ai quitté il y a 5 jours. Ha, voilà le 'garage Robert', et il n'y a qu'une pompe à essence!! Comme dans mon monde! Ça va bien... ça va bien... J'entends François qui dit en soupirant, "je ne sais pas si papa va me reconnaître, ça fait tellement longtemps". Je me surprend moi-même de ne pas penser plus qu'il ne le faut à Sophie et à mon retour dans mon univers, mais j'avoue que de voir François retrouver son père après 30 ans d'absence relègue au deuxième plan mon escapade de trois jours dans les univers parallèles.

Nous stationnons la voiture dans le stationnement du garage. Hey, voilà Rocco, le mécanicien du garage qui s'amène! Je met ma main sur l'épaule de François et lui dis, "je penses que nous avons réussis!" Rocco nous acceuille en disant, "est-ce qu'on peut vous aider messi..." il ne finit pas sa phrase et dévisage François, "êtes-vous parent avec le patron?" François répond en exhibant ses dents pourries, "ouais, c'est mon père!" Croyant entendre un mauvaise blague, Rocco esquisse un sourire forcé. Il a l'air d'être fasciné par les pantalons de François, "wow, vos pantalons sont supers, on dirait des sièges de voitures, c'est la nouvelle mode?" "Ouais, mode rétro!" répond François. Voilà une voiture qui se stationne devant une des deux portes. Rocco nous dit, "c'est le patron, je vais lui dire que vous êtes là!" Ouf, 30 ans de cauchemard qui se terminent pour françois et son père. J'ai bien hâte de voir comment les retrouvailles vont se passer. Son père sort de la voiture et Rocco lui fait un signe en nous pointant du doigt. François ne bouge pas et d'un regard fixe observe son père venir vers nous. Étant conscient de sa piètre allure et qu'après 30 d'absence son père risque de ne pas le reconnaître, je sens qu'il ne veux pas brusquer les choses et qu'il attend le bon moment pour lui annoncer son incroyable retour. Son père est maintenant devant nous. Il me reconnait immédiatement et me dit en esquissant un petit sourire cynique, "tu n'as pas pu résister à tester ta Japonaise sur la longue ligne droite, hein?" Hum, je me sens un peu gêné que ce soit moi que son père ait reconnu. Il se tourne vers François, regarde ses pantalons et lui dit en souriant, "vos pantalons me rappellent des souvenirs, êtes-vous amateur de voitures anciennes?" François lui répond doucement, "oui, celles des années '70". Aussitôt son père prend un air assombri et se tourne vers moi. "Alors, qu'est-ce que je peux faire pour vous messieurs?" Mais il semble que quelque chose l'a accroché, et avant que je puisse répondre son regard revient vers François, il le regarde des pieds à la tête pendant quelques secondes, puis lui dit, "tes pantalons me font penser à une voiture..." Les deux se regardent droit dans les yeux et François lui dit doucement, "oui, à une Avenger". Ça y est, le déclic se fait, mais cela lui semble tellement incroyable et inattendu que le père de François reste bouche-bée, immobile, et continue de fixer son fils intensément dans les yeux. Le moment est venu pour François de confirmer ses espoirs, "Me reconnais-tu?... C'est moi, François... je suis de retour!".


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Le lendemain matin.

Aaaah, ça a été de belles retrouvailles! Maintenant François doit réapprendre à vivre dans la civilisation, mais je pense qu'en travaillant au garage et avec l'aide de son père, ça devrait bien se passer. Évidemment, après avoir passé la soirée d'hier à relater l'incroyable aventure que François et moi avons vécus, le tout baigné dans l'intense émotion due à ces retrouvailles inespérées, j'ai accepté leur invitation de passer la nuit à Bâtonville. Après cette nuit de repos qui nous a permis de décompresser et de revenir les deux pieds sur terre, inévitablement la même question nous vient à l'esprit: "Qu'est-ce qu'on fait maintenant? On dit tout ou on garde le secret de la longue ligne droite?" Hum, la question est fondamentale! Logiquement, nous devrions immédiatement aller avertir la police du danger que représente cette route. Mais vont-ils nous croire? Bien sûr que non! Je vois déjà les policiers nous dévisager avec un petit sourire en coin. Par contre, si nous ne dévoilons pas l'existence de ce portail débouchant sur différents univers parallèles, il est inévitable que ce qui nous est arrivé arrivera un jour ou l'autre à d'autres fous de la vitesse comme moi et François. Après quelques heures de discussions nous nous mettons d'accord pour garder le secret temporairement, le temps pour moi d'en parler subtilement à mon professeur de physique à l'université. Il vaut mieux ne pas tout dévoiler d'un bloc à n'importe qui, sinon une rumeur pourrait naître et il est certain que certains esprits aventuriers pourraient être tentés de tester la "légende" des univers parallèles.

Le moment est venu de nous quitter. J'ai téléphoné à Sophie hier pour la rassurer et j'espère qu'elle a cru à mon histoire de panne de moteur dans un coin perdu dans la nature. En tout cas, je meurs d'envie d'aller la rejoindre. Je monte dans ma voiture après avoir promis à François et à son père de leur donner des nouvelles de mes démarches à l'université, et nous nous entendons que d'ici-là le secret absolue doit être tenu à propos de la longue ligne droite. Mais juste au moment ou je mets la clef dans l'ignition, j'entends une musique exquise parvenir à mes oreilles. Je me retourne et je vois arriver une magnifique Barclay "Cheetah" qui vient se placer devant une pompe à essence. Wow, quel bolide! Et encore plus rapide que ma Yamasuka! Mais c'est une voiture de petite série qui se vend à un prix exorbitant. Mon honneur est sauf! Je ne peux m'empêcher d'aller la voir de plus près. Son conducteur est comme moi, jeune et sûrement fou de la vitesse lui aussi. Hum... et si... Nous nous regardons tous les trois en pensant évidemment la même chose.





Fin ...?