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VTX
Voyage dans le Temps eXpérimental



Par Normand Dubois











3

1914 ET ENCORE DES PROBLÈMES!











LA TRIBUNE

Claireville, (upo) Hier s'est tenu à l'hotel Excelsior l'encan très attendu dirigé par la maison Goldbloom & Schacht. Des timbres et pièces de monnaie rares étaient mis à l'enchère au grand plaisir de riches ('très' riches) collectionneurs venus du monde entier. Une série de deux timbres de 7 cents de 1921 s'est vendue pour la rondelette somme de $425,000.00 et plusieurs autres ont été achetées pour des sommes variant de $150,000.00 à $295,000.00. Toutefois, le clou de la journée a été la mise en vente de la fameuse pièce d'or de $20.00 de 1914 commémorant le lancement du super-cuirassé "L'invulnérable", ce navire de guerre supposément révolutionnaire qui coula seulement quatre heures après son lancement à cause d'un vice de construction. Après son naufrage, le gouvernement rappela en toute hâte toutes les pièces qui étaient pour être mises en vente le lendemain du lancement. Seuleument trois pièces furent vendues dont deux qui n'ont jamais été retrouvées. Le prix de départ fut fixé à $1,000,000.00. Les enchères montèrent rapidement jusqu'à ce que la pièce fut adjugée à un acheteur anonyme pour la somme incroyable de $3,500,000.00

"WOW!!" En plein ce que je cherchais! Comment n'y ais-je pas pensé plus tôt?!! Voilà des jours que je me creuse la tête pour trouver un moyen de rentabiliser au maximum mon dernier voyage dans le temps. Ce devrait être facile et sans risques; je n'aurai qu'à aller dans le passé et acheter quelques timbres et pièces de monnaie pour une bouchée de pain, revenir aujourd'hui, vendre tout cela à l'encan, encaisser les millions, et voilà, le tour est joué! Quelques jours de recherches sur internet devraient suffire pour bien préparer ce qui sera mon dernier voyage dans le temps. "Fini les vacances Paul, au boulot!"


2 jours plus tard.

Facile... facile... un jeu d'enfant. Mes recherches ont été fructueuses, mais pour minimiser les risques, je dois me limiter à un seul voyage dans le passé. J'ai choisi la date du 15 avril 1914, journée où je pourrai me procurer une dizaine de series de deux timbres de 8 cents "Prospérité, Justice" qui valent aujourd'hui $150,000.00 chacune et une douzaine de très rares pièces de un dollar en argent "Paix sur Terre" valant aujourd'hui $200,000.00 chacune. J'achèterai aussi un assortiment complet de tous les timbres et pièces de monnaie disponible cette journée-là, et tant qu'à y être, aussi bien prendre aussi le plus possible de pièces d'or, à $20.00 l'once en 1914 et $1000.00 l'once aujourd'hui, ça servira à payer plusieurs soirées au Babe's Paradise. Le plus fantastique, c'est que tout cela sera disponible dans un seul et même endroit, soit le bureau de poste du centre-ville. Après un calcul sommaire, un investissement de $1,000.00 en argent de 1914 devrait me rapporter aujourd'hui environ $3,000,000.00. C'est bien, très bien. Mais encore plus extraordinaire, il y a la possibilité de doubler et même tripler ce montant! En effet, le 15 avril 1914 est le jour où "l'Invulnérable" fut lancé, c'est-à-dire le jour où les fameuses pièces d'or de $20.00 commémorant son lancement furent livrées dans les bureaux de poste pour être mises en vente le lendemain. Évidemment, elles furent toutes retirées après le naufrage, sauf trois, d'où leur très grande valeur aujourd'hui. Si je peux tomber sur un commis qui sait apprécier un généreux pourboire, je pourrai peut-être en acheter une ou deux pièces. En tous cas, ça vaut la peine d'essayer.


#



Je suis prêt à partir. J'ai mis mon manteau avec des poches profondes, j'ai pour $1,000.00 en argent de 1914 et j'ai l'adresse du bureau de poste, tout devrait bien aller. J'ai juré que je détruirais la machine après ce voyage et je tiendrai parole. Je programme la machine pour le 15 avril 1914 et je presse le bouton vert, c'est parti!

"OPÉRATION RÉUSSIE", tout va bien! Mon boisé est un peu moins dense qu'en 2011 mais ça suffira pour cacher la machine. Aucune habitation aux alentours. Je sors de la machine et marche jusqu'au sentier qui deviendra plus tard la route qui passe devant ma maison. Je colle quatre grosses pierres ensembles pour marquer l'endroit. Encore vingt minutes de marche et je devrais arriver à la route qui mène en ville.


Voilà, j'y suis. On dirait plus un gros chemin en terre battue qu'une route, tout juste assez large pour deux voitures. J'enfonce trois grosses branches dans le sol pour qu'à mon retour je reconnaisse l'entrée du sentier. La ville est à 10 kilomètres et je commence à marcher d'un pas rapide. À environ 100 mètres derrière moi je vois un charriot tiré par un cheval, lorsqu'il arrivera à ma hauteur, je demanderai à son conducteur de m'emmener en ville, ça me fera sauver du temps. Mais plus j'avance et plus je réalise que je marche plus vite que le cheval. Hum, j'espère que je ne serai pas obligé de me taper une marche forcée de 10 kilomètres. Après quelques minutes, j'entends un bruit de moteur au loin, "put put put". Je me retourne et je vois un nuage de poussière derrière une voiture, s'il peut accepter de m'embarquer, cela me fera gagner au moins deux heures. Le voilà presque à ma hauteur. Wow, c'est une Flashmobile! De la main, je lui fais un petit signe amical et il s'arrête.

-- Bonjour monsieur, pourriez-vous me conduire jusqu'en ville s'il-vous-plait?
-- Allez mon gars, monte!

C'est mon jour de chance, mon bon samaritain est un agent d'assurances qui s'en va à son bureau du centre-ville et il m'offre même de me conduire jusqu'au bureau de poste. Ça ne pourrait mieux aller. Si ça peut continuer.


Me voici devant le bureau de poste, il est 12:05 hres et c'est fermé jusqu'à 13:00 hre. Aussi bien en profiter pour aller manger et relaxer avant de passer aux choses sérieuses. J'achète un journal et entre dans le restaurant le plus près, le "Crystal". C'est un beau restaurant d'une centaine de places. On me conduit à une table et le serveur m'apporte le menu. Phew... salade pour commencer, soupe, steak et pommes de terre au four avec sauce Riganof, légumes, petits pains à l'ail, breuvage, dessert et café. TOUT ÇA POUR 45 CENTS??!! Incroyable, avec le million qu'il me reste, je pourrais vivre ici une vie de pacha jusqu'à la fin de mes jours. Maintenant, jetons un coup d'oeil sur ce journal.

"LE PARTI OUVRIER DEMANDE QUE LA SEMAINE DE TRAVAIL SOIT RÉDUITE À 75 HEURES. "IMPOSSIBLE!" RÉPLIQUENT LES PATRONS."

Ça viendra.


"LANCEMENT AUJOURD'HUI DU SUPER-CUIRASSÉ L'INVULNÉRABLE."

Hehehe.


"LES AÉROPLANES N'ONT AUCUNE VALEUR MILITAIRE." GÉNÉRAL W. HARDGROVE.

Cette déclaration le rendra célèbre.


"CE SOIR, CHAMPIONNAT DU MONDE DE BOXE." NOTRE GLOIRE LOCALE, LE CHAMPION JACK "GENTLEMAN" JACKSON ET L'ASPIRANT "DANGEROUS" JAKE MARTIN EN VIENDRONT AUX PRISES POUR LE TITRE DES POIDS MOYENS. TOUS LES BILLETS SONT VENDUS.

Gentleman jackson??!! Ici ce soir??!! Figure légendaire de l'histoire de la boxe, invaincu en 87 combats, deux oscars pour le meilleur acteur, "Ring of Love" en 1927 et "Mister Tempest" en 1934. J'ai dû lire sa biographie au moins dix fois. Et si..... noooon, je ne peux pas, ce serait trop risqué, mon séjour en 1914 doit être le plus court possible pour éviter tout accident temporel. Aargh!! Allez Paul, oublie ça, c'est le temps de manger.


12:50 hres, j'ai mangé comme un roi et il est temps de partir. Je laisse un "généreux" pourboire de 10 cents. Encore dix minutes avant l'ouverture du bureau de poste, je vais faire une petite marche pour digérer.


Wow, beaucoup d'édifices de style Victorien, très beau! Il y a presqu'autant de voitures tirées par des chevaux que de véhicules à essence, les gens sont bien habillés et portent tous un chapeau. Tout a l'air plus simple et on sent un dynamisme qu'on ne retrouve pas à mon époque, je pense que j'aurais aimé vivre ici. Tiens, j'aperçois l'hôtel Griegof, superbe immeuble de dix étages, surnommé "l'hôtel des gens riches et célèbres", détruit par le feu dans les années soixantes, il n'a jamais été reconstruit. Aujourd'hui, heu... en 2011, un terrain de stationnement occupe l'emplacement de cet hôtel somptueux, quelle misère! Un peu plus loin je vois l'enseigne "Paradisio", ça me dit quelque chose... oui!! L'ancètre du Babe's Paradise! Je dois voir ça, ça ne devrait pas prendre plus de dix minutes.

Voilà, j'y suis. Oooh..... "Burlesque"..... "En vedette ce soir: Madame Natasha et ses Girls"..... En première partie: "Girls of Paris"..... "Jimmy Mann et son orchestre"..... "plus de vingt chorus girls"..... "les plus belles de la nation"..... oooh... oooh... HEY!! Déjà 1:15 hre!!?? Vite, plus de temps à perdre, au bureau de poste! Je ne suis pas venu ici pour faire du tourisme.


Ça y est , j'y suis. Je prend une grande respiration et j'entre. Hum... plutot austère comme bureau de poste; plancher de bois, 10 mètres de long par 5 mètres de large, un comptoir au fond et un gardien de sécurité assis dans un coin. Le commis est en train de servir un client, j'attends avec en main la liste des items que je dois acheter. Bon, c'est à mon tour, surtout garder mon calme et ne rien oublier. Je commence avec les timbres et le commis dépose le tout sur le comptoir. Ça va bien! Les pièces d'argent maintenant, il a tout en stock, de mieux en mieux. Je lui dis que j'aimerais offrir des pièces d'or commémoratives en cadeau à mes proches et il me montre des pièces de $5.00, $10.00 et $20.00. J'en prends une vingtaine de chaque. Il me dit en souriant, "monsieur est généreux", et met les pièces dans un sac de toile qu'il dépose sur le comptoir. Il est temps maintenant de tenter le grand coup. En prenant un air le plus naturel possible, je lui demande:

-- Savez-vous si le gouvernement va frapper des pièces d'or commémorant le lancement de "L'Invulnérable"?
-- Oui monsieur, nous venons de les recevoir mais elles ne seront en vente que demain.
-- Ah, comme c'est dommage, cela aurait fait le cadeau idéal pour mon grand-père qui était cannonnier dans la marine de guerre.
-- Mais vous n'aurez qu'à revenir demain monsieur.
-- Malheureusement, je dois quitter le pays ce soir. Ne pourriez-vous pas faire une petite exception? Rien qu'une pièce?
-- Je ne sais pas monsieur, il faudrait que je demande à monsieur le directeur mais il est parti pour la journée.

Je tente le tout pour le tout.

-- Écoutez, avec tout ce que je viens d'acheter, je suis sûr que votre directeur approuvera et vous félicitera pour votre initiative.

Tout en lui parlant, je fais glisser sur le comptoir deux pièces de dix dollars en sa direction. Je sens que ça le fait réfléchir. Pour lui, $20.00 doit équivaloir à deux semaines de salaire.

-- Je pense que monsieur a raison, je reviens tout de suite.

Après quelques secondes qui paraissent une éternité, il revient avec la pièce. D'un geste discrèt, il prend les deux pièces de dix dollars et les met dans sa poche et dépose la pièce de L'Invulnérable avec les autres sur le comptoir.

-- Ce sera tout monsieur?
-- Oui.
-- Ça fera un total $740.25

Je sors les billets de banque de ma poche en essayant tant bien que mal de contrôler le tremblement de mes mains et le paie.

-- Voulez-vous un sac monsieur?
-- Non, ça va aller, je vais tout mettre dans mes poches.
-- Merci monsieur, et bon voyage.

Je lui dis "merci" et me dirige vers la porte de sortie... encore quelques pas... et voilà!! Hehehehehe! Facile... facile... hihihihihi! Wow! Au moins $6,000,000.00, tout a fonctionné à la perfection. Il ne reste plus qu'à rentrer à la maison et vendre tout ça à l'encan. Mais avant de partir, j'aimerais bien avoir la satisfaction personnelle de m'être assis quelques minutes dans le hall d'entrée de l'hôtel Griegof.


J'y suis presque, un petit coup d'oeil en passant sur le Paradisio, hehehe. Bon, le voilà! Ahhhh... il est vraiment impressionnant cet hôtel, même le portier a fière allure. Entrons maintenant... ohlala, de la grande classe, plusieurs chandeliers au plafond, tapis persans, superbes sofas et fauteuils en cuir, boiseries extraordinaires, piano à queue et ensemble à cordes qui jouent de la musique classique, il se dégage une impression de luxe et de richesse qu'on ne peut recréer à mon époque. Le grand escalier est magnifique, des grooms dans leurs uniformes rouges s'affairent à transporter des valises. Je m'assoie dans un fauteuil et savoure chaque instant. Deux hommes sortent de l'ascenseur... mais... je crois rêver... oui, c'est Jack "Gentleman" Jackson!! Il est avec son entraineur Pat O'Flanagan, un ancien champion des poids-légers. Incroyable! Celui dont je connais la vie de A à Z est là en chair et en os. Je bénis la machine pour me faire vivre un moment comme celui-là. Ils vont s'assoir sur un sofa à cinq mètres d'où je suis. J'ai encore le journal avec sa photo en première page, il n'y manque que son autographe...oui, c'est ça! Ça me fera un beau souvenir de 1914.
Je me lève et me dirige vers lui. "Bonjour monsieur Jackson, pourrais-je avoir votre autographe s'il-vous-plait?" Il me répond en souriant, "avec plaisir mon gars". Je lui tends le journal et mon stylo à bille et lui demande de signer sur la photo. "Quel est ton nom mon gars?" me demande-t-il, "Paul" lui dis-je. Et le voilà qui signe: "Pour mon ami Paul, Jack "Gentleman" Jackson". Je remarque qu'en signant il prend un air étonné. Il me dit, "hey mon gars, vas-tu assister au match ce soir?" Je lui réponds que je dois quitter la ville et que de toute façon tous les billets sont vendus. Il se tourne vers son entraineur, "hé Pat, il doit nous rester quelques billets de courtoisie, donnes-lui en un, ce gars m'est sympathique." Il me remet le journal en me disant, "allez mon gars, amuses-toi bien ce soir!"

Wow, c'est vraiment un gentleman, je me retrouve avec son autographe et un billet gratuit pour le combat de ce soir! Jusqu'à maintenant mon séjour en 1914 est un vrai plaisir, tout fonctionne comme sur des roulettes et les gens sont tellement gentils. Je pourrais passer une superbe soirée ici; premièrement: louer une chambre et souper au restaurant d'un hotel légendaire qui à mon époque n'existe plus depuis longtemps Deuxièment: assister au combat d'une légende sportive qui est morte 25 ans avant que je sois né, et troisiémement: finir la soirée au Paradisio où les danseuses sont... comment c'était déjà?... ah oui, "les plus belles de la nation." Hum... est-ce bien raisonnable? Après tout, c'est mon dernier voyage dans le temps, après avoir détruit la machine, je n'aurai plus jamais l'occasion de vivre des moments aussi extraordinaires. Et de toute façon, c'est seuleument quelques heures de plus passées ici, je ne vois pas quelle différence cela pourrait faire. Oui, je pense que je pourrais finir ça en beauté, mais une nuit seulement! Et demain matin, première heure, retour à mon époque et à moi la belle vie!


#



Ahhh, repas plantureux et service impeccable, suite présidentielle d'un luxe inouïe, et tout ça pour $40.00, incroyable! En tout cas, ça commence bien une soirée qui promet d'être mémorable. J'ai fait mettre tous mes timbres et pièces d'or et d'argent dans le coffre-fort de l'hotel, je ne garde sur moi que les $200.00 en billets qu'il me reste et la pièce de L'Invulnérable que je cache dans ma chaussure, celle-là, pas question de la perdre de vue. Bon, il est temps d'aller voir le combat de boxe de mon idole au "Fenton Fields Arena" qui n'est qu'à dix minutes de l'hôtel en taxi.


#



Voilà, j'y suis. Beaucoup de monde, presque tous des hommes, il y a de l'excitation dans l'air. J'ai lu dans le journal qu'environ deux cents partisans de "Dangerous" Jake Martin avaient fait le voyage pour venir encourager leur champion, et que parmi eux, il y avait cinquante membres du redoutable "Mansbridge gang", j'essaierai de me faire petit pour éviter les problèmes. Je montre mon billet à un placier qui m'indique où aller m'asseoir. Une fois assis, je réalise que mon siège est en plein milieu de la section occupée par les partisans de "Dangerous' Martin. Le combat n'est pas encore commencé que déjà mes voisins sont debout et crient "Martin, Martin, Martin". Je remarque trois gros bonhommes avec de grosses moustaches assis directement derrière moi qui ont l'air particulièrement excités. Je suis le seul dans la section qui ne soit pas debout à crier et j'ai l'impression que je commence à m'attirer quelques regards interrogateurs; j'aurais peut-être dû me contenter de l'autographe et refuser le billet gratuit.


Enfin! Le combat commence. "Dangerous" Martin débute en force et après une minute atteint solidement "Gentleman" Jackson à la machoire, lui faisant plier les genoux. Tous les partisans de Martin se lèvent comme un seul homme, toute la section sauf moi, mon voisin de gauche - un autre moustachu - me regarde d'un air menaçant, je comprends le message et me lève à mon tour. Le combat continue et c'est au tour de Jackson d'attaquer, mes voisins sont tous silencieux, craignant pour leur champion. Soudain, Jackson atteint Martin d'un crochet au corps suivi d'un foudroyant uppercut à la machoire qui l'envoie au plancher, il ne se relèvera pas, le combat est terminé! Par pure réflexe, je me lève d'un bond, mes deux bras en l'air et criant "YAHOOO!!". Grosse erreur! Je réalise trop tard que c'est maintenant moi le seul de la section qui est debout en train d'acclamer mon idole, je me sens comme une poule au milieu d'une meute de loups. Un des trois moustachus assis derrière moi m'agrippe fermement par les épaules et me projette violemment sur mon siège. Je me retourne et reçois un coup de poing à la figure. "OUCH!!" Ça fait mal! C'est le moment de sortir d'ici avant de subir une raclée. Je me lève pour partir et j'entends quelqu'un crier, "ouais, c'est ça, et tu diras à ton "Gentleman" Jackson d'aller se faire foutre!", je sors sous les huées de dizaines de personnes. Et moi qui voulais me faire petit!

Hum, première fausse note de la journée, mais je m'en tire relativement bien, j'aurais pu finir à l'hopital. En tous cas, je suis tombé sur une belle bande de salauds, et je me demande même si Jackson ne m'a pas fait une mauvaise blague en me donnant ce billet. En passant devant un miroir, je remarque que j'ai un oeil au beurre noir, un autre souvenir de 1914. Il ne faut pas laisser cet incident gâcher ce qui a été jusqu'à maintenant un superbe séjour dans le passé, une petite visite au Paradisio me fera oublier cette mésaventure. "TAXI!"


#



Me voilà arrivé à l'ancêtre du Babe's Paradise, entrons voir si elles sont vraiment "les plus belles de la nation". Il y a beaucoup de monde mais le portier me trouve une table près de la scène, aaah, tout ce qu'un pourboire de 25 cents peut faire! Une chanteuse accompagnée par quatre danseuses est en train de faire son numéro de chanson grivoise, provocant des éclats de rire dans la salle composée en majorité d'hommes. C'est bien vrai que les danseuses sont belles. Elles sont toutes habillées légèrement, non pas de façon provoquante en en montrant le plus possible comme en 2011, mais de facon plutôt... suggestive, de la grande classe. Je remarque quelques filles assises au bar et d'autres qui circulent entre les tables. Une femme d'âge mur portant une belle robe longue vient à ma table et se présente: "Bonsoir chérie, je suis madame Natasha, si vous voulez avoir de la compagnie, n'hésitez pas à me faire signe, vous ne le regretterai pas." Le chauffeur de taxi avait raison, c'est un bordel de luxe, et je n'ai rien contre ça. Je lui dis que j'aimerais bien prendre un verre avec une jolie brunette assise au bar. "Ahh, Fifi", me dit-elle, "je vous l'envoie tout de suite." Oooh, je sens que je vais finir mon voyage en 1914 en beauté! Et voilà Fifi qui s'amène. "Bonsoir chérie", me dit-elle en s'assoyant près de moi. Je commande une bouteille de champagne et après dix minutes de conversation elle se retrouve assise sur mes genoux, s'esclaffant à chaque blague que je fais, c'est bien parti! Soudain, j'entends derrière moi une voix grave qui dit, "Hello Fifi, as-tu oublié que je venais ce soir?", je me retourne et... oh non... c'est le gros moustachu qui m'a donné un coup de poing à la figure!! Lui aussi me reconnait, il me dit, "et toi, Gentleman mon cul, si tu ne veux pas avoir un autre oeil au beurre noir, tu fous le camp!" Fifi lui dit, "John, je t'ai dit que je ne voulais plus te voir, laisses-moi tranquille, c'est fini entre nous." Et John de répondre en élevant la voix, "ne me dis pas que tu préfères cette mauviette à moi!" Un portier rapplique, "monsieur Mansbridge, nous ne voulons pas de problèmes ici, vous laissez Fifi tranquille où vous sortez!" Hoho! C'est John Mansbridge, le leader du "Mansbridge gang"! Me voilà dans de beaux draps, il est temps de partir d'ici, je commence à en avoir assez de l'année 1914. Ça y est! La bagarre éclate! D'un coup de poing, Mansbridge se débarasse du portier, d'autres portiers arrivent en courrant mais ils sont interceptés par des amis de Mansbridge, des clients s'en mêlent, la bagarre devient générale. Je dois sortir d'ici! Je me dirige vers la sortie arrière, trop tard!! Mansbridge m'agrippe par l'arrière de mon collet, déchirant littéralement mon manteau et ma chemise en deux et me dit, "je n'en n'ai pas fini avec toi!", et il me donne un coup de poing à la figure. Je vais m'écraser deux tables plus loin, renversant des verres de bière sur moi, j'en perds mon manteau. Instinctivement, je me relève et coure vers la porte arrière, je l'ouvre et me retrouve dans la ruelle. Sauvé!! Vite, à l'hôtel! Et demain matin, première heure, bye bye 1914!

Je n'ai vraiment pas bonne mine; deux yeux au beurre noir, plus de manteau, chemise déchirée, et en plus, je sens la bière à plein nez. Ha, enfin, j'arrive à l'hôtel. En voulant y entrer, le portier m'arrête en disant, "tu t'en vas où comme ça mon gars?", je lui réponds, "mais j'ai loué une chambre ici pour la nuit!". "Tu t'es trompé d'hôtel mon gars, le refuge pour clochards est plus loin." me dit-il. À voir mon allure, je ne peux le blâmer de me prendre pour un vagabond. Je lui explique que j'ai été pris dans une bagarre et que je ne suis ni saoul, ni un clochard, je lui montre même la clef de ma chambre. Il me dit, "tu l'as volé où cette clef?", il ne veut rien entendre. Le ton monte et il perd patience, "écoutes saoulard, si tu ne dégages pas tout de suite, je vais te botter le cul tellement fort que tu vas voler jusqu'a l'hôtel des clochards!" Au même instant, j'aperçois un policier en patrouille à pied qui se dirige vers nous. Il ne manquait plus que ça! S'il n'est pas plus coopératif que le portier, ça va finir au poste de police avec interrogatoire et demande d'identité, mais qu'est-ce que je vais leur dire?! Je suis pris de panique et me voilà en train de courir comme un voleur, en 1914, avec un policier à mes trousses sifflant dans son sifflet faisant un bruit d'enfer. Je ne pense qu'à une chose: retourner à la machine, pas demain, mais TOUT DE SUITE!! Je veux revenir à la maison en 2011, à la civilisation, et quitter cet endroit qui est devenu lugubre. Heureusement, j'ai une bonne avance et je cours plus vite que lui. Après 30 secondes, il abandonne la poursuite.

Je vois un taxi qui attend sur le coin d'une rue. Je replace mes cheveux et ajuste ce qui me reste de chemise pour ne pas m'en voir refuser l'accès. Je monte dans le taxi et demande au chauffeur de prendre la route qui mène à la machine, il répond, "pas de problèmes!", parfait! Le chauffeur n'a pas l'air bavard et c'est tant mieux.

Ouf! Je commence à décompresser. Quelle soirée de misère, j'ai failli y laisser ma peau. Finir ça en beauté que je disais, pfff, j'ai peur, j'ai soif, j'ai froid et mes vêtements sont en lambeaux. Saleté de machine, saleté de 1914. Je suis stupide et je n'ai pas la maturité pour utiliser cette damnée machine, il y a longtemps que j'aurais dû la détruire à coups de hache. Tiens, en arrivant en 2011, je ne prendrai même pas le temps de me laver et de me changer, première chose à faire IMMÉDIATEMENT à mon arrivée: détruire la machine en mille morceaux, j'ai assez pris de risques, finies les folies. Heureusement, tout n'est pas perdu, j'ai encore la pièce de L'Invulnérable dans ma chaussure qui vaut au moins $3,000,000.00 en 2011, avec ça, je pourrai me la couler dou... hoho!... maintenant que j'y pense, tout ce que j'avais comme argent était dans mon manteau et je n'ai plus de manteau, et toutes mes autres pièces d'or et d'argent sont dans le coffre-fort de l'hotel, je n'ai plus un rond pour payer le chauffeur, quand ça va mal, ça va mal! Comment vais-je faire?!!... Oui, c'est ça! Quand le taxi s'arrêtera près du sentier qui conduit à la machine, j'ouvrirai la portière brusquement et m'enfuirai en courant, le chauffeur est beaucoup plus gros que moi et je devrais le semer facilement, ça devrait fonctionner!
Nous sommes presqu'arrivés au sentier, je remercie le bon Dieu que ce soit une nuit de pleine lune, sinon je n'aurais jamais pu reconnaître l'endroit.

Voilà, nous y sommes, je vois les trois grosses branches qui marquent l'entrée du sentier, je dis au chauffeur de s'arrêter. Il me dit, "ici? En plein milieu de nulle part?" Je lui répond que je ferai le reste du chemin à pied. Il me regarde avec un air méfiant, il flaire quelque chose de louche. Il s'agira de faire vite, aussitôt arrêté, je devrai ouvrir la portière en vitesse et courir, courir, courir! Ça y est, nous sommes arrêté, c'est le moment!! Mais... OÙ EST LA POIGNÉE DE PORTE??!! Saleté de bagnole de 1914!! Je n'ai plus le choix, je dois passer par la glace latérale qui heureusement est baissée. Je me lève brusquement et me faufile le plus rapidement dans l'ouverture... PAS ASSEZ VITE!! Le chauffeur agrippe mon fond de culotte et me ramène dans la voiture comme si j'étais une poupée de chiffon. Avec son énorme main, il me prend par le cou et me dit, "pas si vite mon gars, tu me paies 45 cents tout de suite ou je brise tous les os de ton corps." "Pitié, pitié," lui dis-je en pleurant et en perdant toute dignité, "je n'ai plus d'argent, je suis désespéré et je veux rentrer chez moi!" Il me répond en me donnant un coup de poing sur le nez, "OUCH!!" ça fait affreusement mal, je suis sûr qu'il m'a cassé le nez! "Tu veux que je continue?" me dit-il avec un air menaçant. Je pleure comme un bébé, si je ne le paie pas, il va me tuer, c'est certain, je n'ai plus le choix! "J'ai une pièce d'or de $20.00 dans ma chaussure, prenez-la! prenez-la! Mais s'il-vous-plait, ne me frappez plus!". Tout en me retenant par le cou, il retire ma chaussure et prend la pièce d'or de L'Invulnérable, la regarde attentivement et fait "humm..." , il met la pièce entre ses dents et essaie de la plier. Il me dit, "ok, ça va pour cette fois, mais considères-toi chanceux que je ne te casse pas en deux et que tu ne serves pas de repas aux coyotes, maintenant fous le camp!"


"Encore un effort Paul", vingt minutes de marche et je serai à la maison. 1914 mon cul, tout ce que m'a rapporté ce dernier voyage dans le temps, c'est deux yeux au beurre noir et un nez ensanglanté. Je n'ai que ce que je mérite, j'ai été stupide! stupide! stupide! J'aurais dû quitter ce monde de brutes immédiatement après mes achats au bureau de poste. Au lieu de revenir avec pour $6,000,000.00 de pièces rares dans mes poches, je me retrouve avec rien, et tout ça parce que je suis stupide! stupide! stupide! Non, les voyages dans le temps ne sont pas pour moi, ça finit toujours mal. Je me contenterai du million qui me reste et je prendrai ça mollo. Ahhh, que j'ai hâte de prendre la hache dans mes mains et bang! bang! bang! en mille morceaux la machine! Je vois les pierres qui m'indiquent que je suis arrivé. Encore deux minutes et je serai à la maison.


Ça y est, je suis couché dans la machine, "allez salope, ramène-moi en 2011!" Je programme la machine et je presse le bouton vert. "OPÉRATION RÉUSSIE", parfait! Maintenant, finissons-en avec cette machine. J'ouvre le couvercle et... quoi encore?!!! Je ne suis pas dans mon boisé et ma maison n'est pas là. Je suis dans un champ d'herbes hautes à environ vingt mètres d'une route longée d'une haute clôture de grillage métallique. Derrière cette clôture se trouve un stationnement plein d'automobiles. Cent mètres plus loin, il y a une grosse structure qui ressemble à un entrepot géant ou à une manufacture. Bizarre, que s'est-il passé encore? Je n'ai vraiment pas besoin de ça! "Réfléchis Paul, et surtout restes calme!" Pourtant, si je me fie aux voitures, je suis bien en 2011, mais pourquoi ma maison n'est-elle pas là? J'ai dû faire quelque chose en 1914 qui a changé le futur, c'est la seule explication.

Premièrement, je dois savoir à quoi sert cet endroit, ça me donnera peut-être des indices sur ce qui s'est passé. À 200 mètres, la route tourne à angle droit pour mener sûrement à la facade du bâtiment, là je verrai probablement un nom, une enseigne, quelque chose. Je commence à marcher. Je suis épuisé après cette soirée complètement débile en 1914. Heureusement mon nez ne saigne plus, mais j'ai encore les deux yeux au beurre noir et mes vêtements sont toujours en lambeaux, difficile de croire qu'il y a à peine dix minutes j'étais 90 ans dans le passé. Si je ne la détruit pas d'ici peu, cette machine me rendra fou. Enfin, j'aperçois l'enseigne sur la facade et..... oh nooon..... en une fraction de seconde je comprends tout!

L'ORIGINAL, LE MEILLEUR, LE STYLO-BILLE "JACKSON"
"depuis 1917"

L'autographe!!! Oui, je me rappelle! Quel imbécile je suis. Quand j'ai vu "Gentleman" Jackson dans le hall d'entrée de l'hôtel Griegof, je lui ai présenté mon journal pour qu'il y signe son autographe, malheureusement je lui ai présenté aussi mon stylo-bille, UN STYLO-BILLE DE 2011!! Et je me rappelle clairement son air étonné en signant son nom. Ha, le salaud! Il m'a remis le journal mais il a gardé le stylo-bille, et dans mon excitation, je ne m'en suis pas rendu compte. Mon stylo-bille modèle 2011 s'est retrouvé en 1914, à une époque où il n'était pas encore inventé et où on ne connaissait que la plume et l'encrier. Jackson s'est retrouvé avec un produit unique et prêt à être commercialisé entre les mains, il n'a eu qu'à obtenir les brevets nécessaires et commencer la fabrication. Ça a dû être la révolution dans les bureaux, les écoles, partout! Finis les encriers renversés, les taches d'encre, etc. Il a dû en vendre des millions et des millions. Je suis sûr que son surnom a été changé pour "Businessman" Jackson. Et comble de malheur, le salaud a fait construire sa manufacture à un endroit où devrait se trouver normalement ma maison. De toute évidence, je ne peux pas rester ici, tout est changé, peut-être que je n'existe même pas dans ce monde; mon père, au lieu de travailler dans les mines a peut-être travaillé dans cette manufacture et marié une femme différente de celle qui m'a enfanté, tous les scénarios sont possibles.

Encore une fois, la même solution s'impose. Pour recréer le cours normal du temps, je n'ai pas d'autres choix que de retourner en 1914 et empêcher mon autre moi d'aller en ville. Si je le tue à son arrivée en 1914, il n'ira pas en ville, il ne demandera pas d'autographe à Jackson, Jackson ne gardera pas le stylo-bille et ne construira pas de manufacture, tout devrait rentrer dans l'ordre. Ouf, ce sera le troisième ou le quatrième autre moi que je tue, je ne les compte même plus.


Je suis revenu à la machine mais avec quoi vais-je le tuer? Je n'ai pas de pistolet... tiens, je vois des débris métalliques près de la machine, cette barre de fer fera parfaitement l'affaire et je m'en servirai pour creuser un trou pour l'enterrer lui et sa machine. Je déplace la machine pour qu'à mon arrivée, mon autre moi ne remarque pas ma présence.

Ok, je suis prêt à partir. Allez Paul, un dernier effort, après tu auras tout le temps pour te reposer. Je programme la machine pour mon retour en 1914 et je presse le bouton vert. C'est parti!

"OPÉRATION RÉUSSIE", tout s'est bien passé. Mon autre moi devrait apparaître dans quelques secondes, je me cache derrière un arbre et j'attends. Ça ne devrait plus être long... le voilà! Sa machine apparaît à deux mètres d'où je suis caché. Il sort de la machine et son dos est tourné vers moi, c'est le moment! Je m'élance et avec ma barre de fer lui assène un terrible coup sur la tête. Il s'écroule, je le frappe de nouveau pour m'assurer qu'il soit bien mort. Bon, un autre problème de réglé, il n'ira pas en ville et je devrais retrouver ma maison en 2011. Je lui retire ses vêtements qui remplaceront les miens qui sont en lambeaux. Il ne reste plus qu'à l'enterrer, lui et sa machine, mais je suis trop épuisé pour détruire sa machine à coups de barre de fer. Je glisse mon autre moi ainsi que mes vieux vêtements dans sa machine, je vais les enterrer comme ça, en un morceau.


Ouf, terminé! J'ai fait du bon travail, personne ne remarquera qu'il y a quelque chose d'enterré ici. Je suis complètement épuisé, tous les muscles de mon corps me font mal. C'est le temp de retourner à la maison, à mon époque, et aussitôt arrivé, malgré mon état d'épuisement total, je dois trouver la force de détruire cette machine de malheur. Pas de mais... pourtant... peut-être... de toute façon... non! Fini tout ça, première chose à faire en arrivant: détruire la machine. J'irai me coucher après.

Je m'installe dans la machine et la programme pour mon retour en 2011. "Mon Dieu, faites que tout se passe bien." Je presse le bouton vert.

Oh!oh! Sur l'écran apparait le message:

ERREUR! ERREUR!
MESSAGES CONTRADICTOIRES
SOURCE INCONNUE

Hein??! un autre message apparait:

DANGER! DANGER!
CROISEMENT DE FLUX TEMPOREL
SOURCE INCONNUE

Quoi?!! Source inconnue?.... mais.... oui!! Je comprends! La machine que je viens d'enterrer est encore opérationnelle! Aargh! J'aurais dû la détruire mais j'étais trop épuisé, c'est sûrement elle qui est la cause de..... oh nooon!...

DANGER! DANGER!
SURCHARGE DES CIRCUITS TEMPORELS
FRACTURE SPACIO-TEMPORELLE DANS 30 SECONDES

Tout va trop vite! Je n'ai pas le temps de réfléchir. J'entends une sonnerie... "dingdingding ding", en même temps un autre message apparaît:

MESURE DE SÉCURITÉ AUTOMATIQUE
DÉPART POUR DATE ALÉATOIRE
AVANT FRACTURE SPACIO-TEMPORELLE DANS
10 SECONDES..... 9..... 8.....


Départ??!!... Soudain, des dates apparaissent et disparaissent à l'écran à une vitesse incroyable, je peux à peine discerner les chiffres... mais... je... tout tourne... c'est trop... non... ne pas m'évanouir... ne pas m'éva..... 4..... 3..... 2..... 1.....



Chapitre 4